# Autour d’un *Revenu de Base Inconditionnel* (RBI) <p style="text-align: right;font-style:oblique">! <a data-href="Food for thought" href="https://legerement-serieux.ch/Fiches/PsychoPhilo/Food+for+thought" class="internal-link" target="_blank" rel="noopener">Food for thought</a> !</p> > [!info]- Contexte > Ce texte a été écrit en mai 2015, ***avant*** la votation sur l'initive populaire [« Pour un revenu de base universel »](https://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_populaire_«_Pour_un_revenu_de_base_inconditionnel_») du 5 juin 2015, en Suisse. C’est à cette votation que le texte fait allusion. Je voudrais faire part de quelques réflexions autour de cette idée novatrice et révolutionnaire qui est celle d’un *Revenu de Base Inconditionnel*. Je ne suis ni économiste ni un spécialiste du *Revenu de Base Inconditionnel* (ci-après *RBI*). Alors, ce que je me propose de faire ici, avec vous si vous avez la bonté de me suivre, c’est de « réfléchir tout haut », afin de nourrir le débat et la réflexion de chacun. Je vais commencer par ma conclusion et vous dire tout net ce que je pense. Le reste de ce billet servira à étayer ma pensée. 1. Aujourd’hui, le *RBI* est une utopie. Cela signifie que c’est une très noble et belle idée, mais que la société dans laquelle nous vivons n’est pas encore prête pour l’embrasser. 2. Clairement, le système social de demain devra ressembler au *RBI*, de près ou de loin. 3. Il y a des résistances psychologiques au *RBI*. En soit, ce n’est pas bien grave. La société n’est, dans son ensemble, pas prête. Ce ne sera pas pour tout de suite, ce sera pour demain ou après-demain. 4. De toute façon, avant que le *RBI* puisse fonctionner correctement, il y a quelques prérequis économiques dont il faut tenir compte. Et à mon avis, tant que certains de ces prérequis ne seront pas réellement mis en place, le *RBI* ne saurait fonctionner sur la durée. 5. Je vois principalement trois obstacles économico-psychologiques  : l’inflation due à l’avidité humaine, le droit de s’enrichir par n’importe quel moyen, y compris en faisant commerce des denrées de base et le mythe de la croissance infinie. 6. À la votation du 5 juin, je voterai *OUI*, car je trouve qu’il est important de donner un signal en faveur de l’*idée du RBI*. Je ne souhaite cependant pas du tout que le *RBI* passe, car je suis persuadé que s’il était mis en place *maintenant*, tel quel, il n’atteindrait pas son but et ses adversaires auraient beau jeu de le disqualifier. Ce qui reviendrait à *repousser* pour un bon bout de temps l’introduction d’un vrai *RBI* fonctionnel. ## Qu’est-ce que le *RBI*? Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites et, vu la proximité de la votation sur le sujet, vous devez déjà savoir plus ou moins de quoi il s’agit. Voici tout de même un résumé, très, très résumé. On peut considérer que, dans un état civilisé, chaque être humain doit avoir la possibilité de vivre décemment et dignement. Ce « décemment et dignement » implique d’avoir un accès plus ou moins facile à des biens dits « de base »  : [^1] * de la nourriture ; * un logement décent ; * des soins — c’est-à-dire l’accès à un système de santé ; * plus deux ou trois autres choses qui doivent faire l’objet de négociations sociales, tel l’accès au savoir, à la formation, à la culture, etc. L’idée du *RBI* c’est que l’état fournisse au citoyen un « revenu de base », c’est-à-dire une somme d’argent définie et limitée, mais qui est censée couvrir le prix de ces « biens de base ». Le citoyen touche ce revenu *sans condition*, c’est-à-dire sans devoir — comme c’est le cas dans le système social actuel — prouver qu’il n’a pas trouvé de travail ou prouver qu’il est incapable de travailler ou démontrer qu’il a vraiment besoin de cet argent. ## Les problèmes que le revenu de base est réputé résoudre #### La pauvreté programmée Actuellement, si un citoyen a de l’épargne ou des biens propres, on considère qu’il n’a qu’à vendre ses biens et utiliser son épargne pour vivre, *avant* d’avoir droit à ce que l’on appelle « l’aide sociale ». Comme on appelle « pauvre » celui qui a juste assez pour vivre, on peut dire que le système social actuel *oblige* les personnes qui n’ont pas de travail à être pauvres — à moins d’être super-riches. Il est défendu d’avoir un « bas de laine », quand on n’a plus de travail. Pas même en vue de frais de santé, par exemple. [^2] #### Les “working poors” Comme le marché du travail est plutôt restreint, c’est-à-dire qu’il n’y a pas assez de postes de travail rémunérés pour tout le monde, il y a une « pression vers le bas » sur les salaires. Le plancher de cette pression vers le bas a tendance à se rapprocher du « revenu minimum » prévu en guise d’aide sociale. Du coup, on peut travailler et avoir un salaire sans vivre mieux qu’avec l’aide sociale. Comme le minimum de l’aide sociale correspond à « juste vivre à peu près dignement », on peut avoir un travail tellement peu rémunéré que cela revient à « vivre dans la pauvreté ». Ce sont les personnes qui sont dans cette situation que l’on appelle les “working poors”. J’ajoute que les indices sont aujourd’hui là, qui indiquent que ce mouvement ne va non seulement pas s’arrêter, mais bel et bien s’accentuer. On voit déjà que beaucoup de travaux sont faits par des robots. Tous les jours, nous avons affaire, directement ou indirectement à des robots. Pensez à cela, la prochaine fois que vous procéderez à un achat ou à une réservation en ligne. Ce que vous faites en cliquant sur votre ordinateur ou votre tablette, c’est d’interagir avec des machines et plus avec des humains. Bien sûr, ces robots doivent être fabriqués et maintenus par des humains. Mais il reste deux problèmes  : le premier c’est qu’ils font travailler des personnes extrêmement qualifiées, pas des personnes à peine scolarisées. Le deuxième, c’est qu’il y a tout de même une amplification énorme de l’effort humain. Je suis certain que des universitaires ont dû faire les calculs, je n’en suis qu’à des estimations. Mais je ne crains pas d’annoncer un facteur de 1 à 30, pour ne pas dire 1 à 50 ou 1 à 100 dans certains domaines. C’est-à-dire que le travail d’une personne correspond au travail de 30 personnes il y a un certain nombre d’années. Il y a même des domaines où c’est particulièrement caricatural  : les banques sans banquiers, les métros sans conducteur, les drones. Encore une fois, nul n’est besoin d’être futurologue pour annoncer que c’est dans cette direction que va notre société et que ce n’est pas pour après-demain. #### La lourdeur administrative Sous cette expression, c’est une quantité de choses très coûteuses que l’on peut mettre. Actuellement, l’aide sociale est tout sauf *inconditionnelle*. Au contraire : il s’agit de séparer la population en trois groupes : 1. les personnes qui ont droit à une rente d’invalidité ; 1. les personnes qui ont droit à de l’aide sociale  ; [^3] 1. les personnes qui n’ont droit à rien. L’octroi de l’aide sociale est ainsi organisé et surveillé par une quantité considérable de fonctionnaires qui doivent exiger et contrôler des papiers et des formulaires de la part des bénéficiaires. De plus, il s’agit aussi de contrôler les bénéficiaires eux-mêmes, car on veut éviter la fraude. En effet, parmi les « qui n’ont pas droit », il y en a forcément qui essaient de toucher quand même des rentes — ce qui peut paraître légitime, au fur et à mesure que la précarité ressemble de plus en plus à de la misère. Les « vrais fraudeurs » ne sont pas aussi nombreux que le croient certaines personnes, mais il n’empêche. Alors la « chasse aux fraudeurs » mobilise une quantité non négligeable de ressources : des fonctionnaires, des contrôleurs, des experts, même des détectives. À partir du moment où chacun aura droit à une ressource *inconditionnelle*,c’est la notion même de fraude qui disparaîtra. Et avec elle, toute cette lourdeur administrative. Entre parenthèses : l’argent ainsi économisé — qui ne consiste de loin pas en de petites sommes — peut être pris en compte quand on réfléchit au financement du *RBI*. #### Les humiliations au quotidien Dans la société actuelle, les personnes qui touchent une aide matérielle de l’état subissent toutes sortes de vexations et d’humiliations. Dans la vie en général, il y a, trop souvent encore, de l’opprobre attaché au fait de toucher de l’aide de l’état. Beaucoup trop de personnes considèrent encore les bénéficiaires comme des fainéants, ou des profiteurs, ou des tricheurs, des fraudeurs. Pour les bénéficiaires, cela se traduit par toutes sortes de vexations au quotidien, dans les recherches d’appartement, par exemple ; et même dans les recherches de travail. Le travail toujours inachevé qui consiste à séparer les « ayants droit » des « non-ayants droit », ainsi que la chasse aux fraudeurs, tout cela fait que les bénéficiaires de l’aide de l’état sont continuellement confrontés aux soupçons des fonctionnaires, en plus des soupçons de leurs concitoyens. Certains fonctionnaires sont capables d’être parfaitement odieux avec les bénéficiaires. Et les bénéficiaires sont continuellement soumis à des réévaluations, révisions, enquêtes et expertises. Tout cela, en plus de coûter cher en ressources financières, coûte très cher en termes de charge psychologique sur les bénéficiaires. Il n’y a aucun doute que tout cela disparaîtra avec la mise en œuvre d’un *RBI*. #### Les mois sans revenu Actuellement, lorsqu’une personne quitte son emploi ou se fait licencier, il y a tellement de paperasserie à remplir, aussi bien par la personne que par son ex-employeur, qu’en général un mois n’y suffit pas. Avec, en plus, les délais liés à la charge de travail des administrations, il n’est pas rare qu’une personne doive attendre deux, voire trois mois, avant de toucher sa première indemnité. De toute façon, un mois est la règle. Avec le *RBI*, il n’y aura pas de mois avec « zéro revenu », le revenu de base arrivant sur un compte, de toute façon, sans aucune formalité. #### La mesquinerie administrative, le bénévolat obligatoire C’est, à mon avis, l’un des plus grands problèmes et le plus scandaleux du système actuel : lorsqu’une personne « touche le social », elle n’a, administrativement parlant, pas le droit de gagner de l’argent. En effet, elle doit donner à l’État tout revenu qu’elle réalise et qui dépasse un certain montant. Voici un exemple concret et réel. Une personne perçoit une aide sociale de 2’000 francs par mois. On ne lui interdit pas de travailler, mais on ne lui permet de garder pour elle que 200.–. Son revenu pour le mois sera donc au maximum de 2’200.–, indépendamment de ce qu’elle parvient à se faire comme revenu supplémentaire. Supposons que la personne ait trouvé un travail temporaire qui lui rapporte 1’000.–, elle devra verser 800.– à l’administration.. Ce revenu de 1’000.– correspondant, vraisemblablement, à une septantaine d’heures d’un travail mal payé à 15.– l’heure, on peut dire que, concrètement, la personne aura travaillé deux semaines à temps plein pour 200.– de revenu net. Au final, c’est du bénévolat à peine amélioré. Ce mécanisme a des effets tellement néfastes que je n’hésite pas à le qualifier de *pervers* : 1. Comme je viens de le mentionner, 200.– pour 70 heures de travail, ce n’est vraiment pas un salaire correct. Même si la personne n’a travaillé que 40 heures à 25.–, au final, elle n’a que 5.– de l’heure. Je pense qu’un jeune qui passe la tondeuse à gazon à droit à plus. 2. Il n’y a aucun doute que cela encourage le travail au noir. Mais se faire rémunérer sans le déclarer, quand on est au social, c’est extrêmement risqué. Si on se fait pincer, même des années plus tard, on doit, au minimum, rembourser les sommes à l’État. Rembourser quelques milliers de francs, lorsqu’on n’a que le minimum pour vivre, c’est à la limite du supportable. 3. Nul doute que ce système entretient de l’amertume chez les personnes qui touchent de l’aide sociale. 4. Le système encourage toutes sortes de « combines » pour arrondir les fins de mois et même, de plus en plus souvent, pour nouer les deux bouts, comme on dit, tout simplement. Ces combines sont bien compréhensibles et même moralement défendables, le système étant tellement inique. Mais du coup, cela contribue à entretenir l’image de l’« assisté profiteur et truqueur ». 3. Comme déjà mentionné, toute la machine administrative nécessaire à la « bonne marche » de ce mécanisme pervers coûte extrêmement cher. C’est à la fois un coût financier et un coût humain. Avec un système tel que le *RBI*, il n’y a aucun doute que ces effets pervers disparaîtraient. Tout revenu viendrait automatiquement s’ajouter au revenu de base. Plus besoin de tricher, donc plus d’image de tricheur, ni de profiteur. Plus besoin d’entretenir une machine administrative lourde et pesante sur les bénéficiaires. ## Mes doutes et mises en garde Maintenant que nous avons vu les avantages attendus — et probablement indiscutables — d’un *RBI*, je vais discuter les points qui me paraissent nettement plus délicats. #### L’avidité Actuellement, l’avidité est scandaleusement tolérée. On admire toujours ceux qui « font de l’argent », sans trop regarder à la manière dont ils s’enrichissent. [^4] On ne dit pas qu’une entreprise doit être rentable, on dit qu’elle doit être *profitable*. Faire du profit est vu comme une fin en soi. Du coup, c’est acceptable de vendre les biens aussi cher que possible, sans autre considération. C’est acceptable de faire travailler un nombre aussi petit que possible de personnes pour produire ces biens et c’est acceptable de les rémunérer le moins possible. Et l’on répète comme une litanie « c’est la [[loi de l’offre et de la demande]] ». Les deux choses mises ensemble — l’avidité tolérée et la [[loi de l’offre et de la demande]] ont deux effets pervers indiscutables  : 1. La richesse a tendance à se concentrer dans les mains d’un nombre de plus en plus restreint de personnes, tandis que le nombre de personnes pauvres a tendance à augmenter. 2. Le prix des biens a tendance à augmenter au fil du temps — c’est ce que l’on appelle l’inflation. Sans régulation, cela met certains biens à des prix prohibitifs pour ceux que l’on appelle « pauvres ». Pour moi, la caricature extrême de l’avidité, c’est ce que l’on appelle la spéculation. Quelqu’un a de l’argent, il achète un bien. Puis il attend, pour le revendre, que quelqu’un veuille bien lui en donner un prix plus élevé que celui auquel il l’a acheté. Il n’a fourni aucun travail, n’a amené aucune valeur ajoutée ni au bien ni au monde. Pourtant il « gagne » de l’argent et presque personne ne trouve rien à redire. On peut même dire que plus il gagne d’argent ainsi, plus il a de prestige, dans notre société. Et je n’ai encore rien dit des *biens* ainsi échangés de main à main. Quand ces biens sont des produits de première nécessité comme des denrées alimentaires, des logements, de l’énergie ou des soins médicaux, cela commence à ressembler à du vol, non ? D’où vient l’argent ainsi « gagné » ? Il est bien pris quelque part, donc à quelqu’un. Ou alors c’est de l’argent virtuel, ce qui est aussi un problème, non moins grave ! Le lien que je fais avec le *RBI*, c’est le suivant. Un *Revenu de Base* serait sensé couvrir les *besoins de base*, justement. Si l’on tolère que ceux qui détiennent ou produisent ces biens de base s’enrichissent en augmentant régulièrement le prix de ces biens, tôt ou tard, le montant qu’on croyait suffisant pour se les payer, ne le sera plus, suffisant. Je pense qu’il faudrait penser à un mécanisme — ou plusieurs — qui assurerait, sur le long terme, qu’il y ait toujours une équivalence entre le *revenu de base* et le prix des *biens de base*. Faute de quoi, le *RBI* échouera lamentablement à offrir ce qu’il est censé permettre, c’est-à-dire que chaque citoyen puisse vivre dignement, à l’abri du besoin, indépendamment de toute autre considération. #### Le mythe de la croissance infinie J’adore cette phrase de Pierre Rabi et je la prends volontiers à mon compte  : « La croissance n’est pas une solution, elle est le problème. » Je pense que tout le monde ferait bien d’y réfléchir. Il est tellement évident que les ressources de la planète ne sont pas infinies ! Je comprends très bien qu’elles pouvaient le paraître à l’homme du 19e siècle. Comme la terre paraissait immense et illimitée à l’homme de l’antiquité. Mais aujourd’hui ? Maintenant que nous en avons fait le tour en 90 minutes dans des navettes spatiales, maintenant que nous avons pu la photographier, toute petite dans l’immensité du cosmos, maintenant que nous avons vu le fin liseré qu’est son atmosphère, comment peut-on encore *croire* qu’elle soit infinie. On voit bien qu’il faut nous retenir pour ne pas arracher tous les arbres, tuer tous les animaux et polluer toute l’eau. Oui, car même ces océans qui ont l’air immenses, vus du bord, ne sont pas infinis, vus de l’espace et donc dans la réalité solide des choses. On peut bien parler d’énergies alternatives, mais il faut bien réaliser que même la quantité d’énergie solaire qui arrive sur la terre en une journée n’est pas infinie. Même l’énergie du vent — qui au final est aussi de l’énergie solaire — n’est pas infinie. On voit bien que les terres rares qui sont indispensables au fonctionnement de nos ordinateurs ne sont pas en quantité illimitée. Si l’on ne se préoccupe pas de recycler les atomes et les molécules consommés dans les appareils « jetés », on va les épuiser plus vite que certains ne pensent. [^5] On ne peut pas à l’infini défricher des forêts et des terres agricoles et les transformer en villes. Vous connaissez sans doute ce jeu  : le *Monopoly*. Je pense qu’il est une excellente illustration tant des limites de l’avidité que du mythe de la croissance infinie. Comme vous avez déjà certainement joué à ce jeu, vous avez pu voir que, s’il y a bel et bien de la *croissance* au début du jeu, elle s’arrête inéluctablement. Dans la première phase de jeu, on achète des terrains et des maisons et l’on a l’impression de *croître*. Et à chaque tour du plateau, la banque vous redonne un peu d’argent, de quoi continuer à acheter. Puis les joueurs commencent à s’échanger des sommes d’argent. Ou plutôt, on voit l’argent s’accumuler chez certain(s). Le jeu s’arrête à la banqueroute d’un ou plusieurs joueurs. Oui, le jeu *s’arrête* ! Et c’est cela, mon point. Comme c’est un jeu, on déclare qu’il y a un vainqueur et des perdants. Mais dans la Vraie Vie ? Je pense qu’il ne faut pas s’étonner que les « perdants » viennent récupérer auprès des « gagnants », au besoin *par la force*, ce que ceux-ci leur ont pris. Je pense que c’est une des explications des flux migratoires à l’échelle des continents. Je pense que le *RBI* est adapté à un modèle économique de la stabilité, pas de la croissance. Le modèle économique avec lequel nous fonctionnons tant bien que mal, aujourd’hui, est un modèle qui a la croissance comme présupposé. Ce n’est qu’un *jeu de l’avion* à l’échelle de la planète. Comme je viens de l’expliquer, il ne *peut pas* continuer à l’infini. Tôt ou tard — mais le plus tôt sera le mieux —, il faudra modéliser la stabilité et mettre en place un système basé sur cette réalité, plutôt que sur le fantasme de la croissance infinie ! Et là, le *RBI* aura sa place. #### La circulation de l’argent Je pense que c’est cela que nous devons penser  : la circulation de l’argent. Il faut absolument éviter que l’argent ne s’accumule *trop* chez certaines personnes. Un très petit nombre de super-riches et un grand nombre de pauvres, c’est comme l’accumulation des charges électriques dans l’atmosphère  : cela ne peut que générer des déflagrations, des éclairs, cela ne se résout que dans un orage. Remettre à chaque citoyen une somme d’argent lui permettant de se payer un logement, de s’acheter à manger et deux ou trois autres biens de première nécessité, cela fait partie, à mon sens de ce que l’on peut faire pour faire circuler l’argent. ## Mes réponses à quelques réticences psychologiques #### Un revenu inconditionnel pousserait les gens à l’oisiveté — plus personne ne travaillerait Je le dis tout net, ce n’est pas un argument valable contre le *RBI*. Bien sûr, il existe des gens qui pourraient « profiter » de l’aubaine d’un revenu inconditionnel pour éviter de travailler. Mais ce n’est qu’un infime petite partie de la population. La plupart des gens qui sont aujourd’hui au chômage ou à l’aide sociale préféreraient travailler, s’il le pouvaient. Principalement pour deux raisons  : améliorer leur ordinaire, d’une part, et pour participer à la vie de la société, d’autre part. En effet, se sentir utile est un besoin humain fondamental. Comme on le dit communément  : « ça va un moment » de ne rien faire, de « glander » dans son salon. Pour la plupart des humains, cela devient vite pesant, voire insupportable. Croyez-en le thérapeute que je suis, ainsi que la plupart de mes collègues. Nous pouvons témoigner que nous voyons tous les jours des gens qui dépriment à force de ne rien avoir à faire et qui souhaiteraient de toutes leurs forces avoir ne serait-ce qu’un petit job. #### Ça coûterait horriblement cher Des livres entiers ont déjà été écrits sur ce sujet par des gens bien plus qualifiés que moi pour en parler. Je laisse les économistes en débattre. Ce que j’ai à en dire, en tant que citoyen, c’est que le système actuel aussi coûte horriblement cher. Et comme le marché de l’emploi va continuer de s’amincir, de se restreindre, la quantité de gens à la charge du social va continuer d’augmenter et que les coûts du social vont de toute manière augmenter. Quand on n’aura plus qu’une minorité d’« actifs » qui devront soutenir une grande majorité de « non-actifs » [^6], les choses deviendront tendues, de toute manière. Je mentionne à nouveau le coût non négligeable [^7] de toute la machine administrative vérificatrice et punitive. Et je me permets d’ajouter le coût de tout l’appareillage hypocrite qui, via des cours et des stages de toutes sortes serait sensé permettre aux chômeurs et aux bénéficiaire du RI de retrouver un emploi. J’ose utiliser le mot *hypocrite* car si les chômeurs et les bénéficiaires de l’aide sociale ne trouvent pas d’emploi, ce n’est pas parce qu’ils ne savent pas rédiger un CV, se servir d’un ordinateur ou parler de leurs qualités. C’est bien plutôt parce que le marché de travail s’est énormément restreint et ne veut plus des « moins de 30 ans sans expérience » et encore moins des « plus de 45 ans qui de toute façon ne supportent plus le stress ». Alors, bien plus que le nombre de personnes au chômage ou à l’aide sociale, je vois une quantité incroyable de coûts indirects qui pourraient parfaitement être réaffectés au financement du *RBI*. #### Toucher de l’argent sans rien faire, ce n’est pas moral Voilà une affirmation philosophique à laquelle je peux souscrire. Cependant, je voudrais proposer trois considérations. Premièrement, comme je l’ai dit plus haut, je pense que l’immense majorité des personnes qui ont de la force de travail feront spontanément des activités qui leur donneront à la fois le sentiment de se sentir utiles et à la fois leur éviteront d’avoir mauvaise conscience à « toucher de l’argent sans rien faire ». Deuxièmement, il y a des personnes qui ont le droit moral de toucher *temporairement* de l’argent « sans rien faire »  : je pense en particulier aux étudiants et à toutes les personnes en formation. D’ailleurs, étudier et se former, ce n’est pas « ne rien faire » ! Et puis, il y a ceux que l’on appelle aujourd’hui les « retraités ». Après avoir bien travaillé, pendant de longues années, ils ont aussi le droit moral de *se reposer*. Avec un *RBI*, on ne les appellerait tout simplement plus *retraités* et il n’y aurait plus ce sempiternel débat sur l’[[âge de la retraite]]. [^8] Troisièmement, je me dis que ce ne serait pas une mauvaise idée ni une idée scandaleuse, que de demander à tout citoyen de fournir chaque mois un jour de travail gratuit à la collectivité. Ce pourrait être de faire les courses d’une personne âgée, de faire les repas pour un groupe de personnes, garder des enfants, véhiculer des personnes sans voiture, faire la conciergerie d’un immeuble, être à l’accueil d’un musée voire même d’un guichet officiel, livrer des colis, etc., etc. Je pense que ce ne serait pas les opportunités qui manqueraient. Chacun ferait selon ses possibilités, tant physiques qu’intellectuelles, et selon les besoins de son voisinage. Je ne pense pas qu’il faudrait nécessairement le réglementer, ni le contrôler administrativement. Il suffirait de le faire entrer dans les mœurs comme une juste contribution à la société. De plus, justement, tous ces travaux faits pour contribuer au bon fonctionnement de la société contribueraient à resserrer les liens sociaux. Ce serait excellent pour tout le tissu social et chaque citoyen en bénéficierait. ## Conclusion Voilà les quelques réflexions que je tenais absolument à partager avec le plus grand nombre. Je continuerai à éditer cet article au gré de mon inspiration et au gré des réflexions qu’on voudra bien me soumettre. Et ce, même après la votation du 5 juin 2016 en Suisse. ## Liens * sur *Wikipedia* : [Allocation Universelle](http://fr.wikipedia.org/wiki/Revenu_de_Base) — c’est un autre terme « consacré » pour désigner un *revenu de base*. * [B•I•E•N — CH](http://bien-ch.ch/fr) — Réseau suisse pour un revenu de base. * [Politique Intégrale](http://politique-integrale.ch/fr.html) — Un parti et mouvement politique qui s’applique à voir les choses d’une manière intégrale. [^9] Ce parti s’intéresse à ce que pourra être la société quand elle aura évolué au-delà des concepts dominants aujourd’hui. À ce titre, le *RBI* est un de ses sujets de réflexion. &emsp; <p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Olivier-Spinnler.png" class= "signature"/></a></p> <p style="text-align: center; font-style: italic;">le 12 mai 2015 </p> &emsp; ---------------------------------------------- [[réflexions et essais]] #société #psychoPhilo #essai [^1] : Pour une discussion un petit peu plus élaborée sur la notion de *besoins de bases*, je vous suggère de lire [[budget d’une personne|cet article]] que j’ai écrit sur le sujet. [^2] : Je fais allusion, en particulier, aux frais dentaires. J’ai déjà vu des patients renoncer à consulter même leur généraliste pour des problèmes articulaires ou digestifs potentiellement sérieux. [^3] : J’inclu ici les allocations de chômage, car elles ne sont qu’un cas particulier de l’aide sociale, limité dans le temps. J’ai déjà vu trop de personnes passer du chômage à l’aide sociale. [^4] : Sauf peut-être en ce qui concerne les mafias et les trafics de biens discutables comme les drogues illégales, les êtres humains et les organes. Mais à part cela… [^5] : Cela se compte en dizaines d’années, pas en centaines. Moins de 50 ans, moins de 30, moins de 20 ans, selon de quels minéraux l’on parle. [^6] : Personnes sans emplois, jeunes en formation, personnes âgées. [^7] : je n’ai pas de données exactes des montants, mais je suis assez certain que ce doit être plutôt énorme, quand je vois combien grassement sont payées les entreprises qui donnent ce genre de cours. [^8] : On peut même imaginer que la plupart des gens « lèveront le pied » progressivement, par exemple en ne travaillant plus que trois semaines par mois, ou trois jours par semaine, par exemple. Et ils pourraient ainsi travailler bien au-delà de ce que l’on appelle aujourd’hui l’« [[âge de la retraite]] ». [^9] : Au sens de la *vision intégrale* du penseur et philosophe américain Ken Wilber.