# Quantité de travail et burn-out <p style="text-align: right;font-style:oblique">! <a data-href="Food for thought" href="https://legerement-serieux.ch/Fiches/PsychoPhilo/Food+for+thought" class="internal-link" target="_blank" rel="noopener">Food for thought</a> !</p> Je voudrais illustrer ce qui se passe dans notre société, depuis plus de vingt ans, et qui explique en très grande partie l’apparente « épidémie de burn-out » que l’on constate et qui surcharge tout le monde : * les médecins de premier recours * les cabinets des psys * les assurances perte de gain * l’assurance invalidité * les personnes qui restent en emploi * et ce n’est pas fini… Voici la quantité de travail à faire dans telle ou telle entreprise : ![[1. Ampleur de la tâche.jpg]] *Figure 1* Nous appellerons cela l’***ampleur de la tâche***. Quelques exemples : * Ce sont tous les dossiers à traiter dans un service de l’état ou dans une assurance ou dans une banque. * Ce sont l’ensemble des élèves d’une école. * C’est l’ensemble des patients d’un service hospitalier. * C’est l’ensemble des résidents d’un foyer ou d’un EMS ^[Établissement Médico-Social — c’est un lieu de séjour à long terme pour personnes âgées.]. * C’est l’ensemble des patients dont un CMS ^[Centre Médico-Social — c’est un centre qui s’occupe de fournir des soins à domicile à un quartier ou à une région d’habitations.] doit s’occuper. * Ce sont les clients à servir. * etc. Pour illustrer la situation où *tout va bien*, imaginons que 10 personnes travaillant à un rythme normal peuvent gérer l’ensemble. Nous avons cette situation : ![[2. TVB.jpg]] *Figure 2* Toute l’***ampleur de la tâche*** est assurée par le travail diligent de chacun. Maintenant, la situation avec une personne en moins : ![[3. Une personne de moins.jpg]] *Figure 3* Pourquoi y a-t-il une personne en moins ? Nous avons tout vu : * Une personne part à la retraite ou démissionne et n’est pas remplacée. * Des responsables ont décidé qu’il fallait « diminuer les coûts ». Pourquoi ? * « Pour faire des économies. » * « Pour optimiser les ressources. » * « Pour que l’entreprise soit plus profitable. » * etc. * « Parce qu’on n’a pas le budget. » * Parce qu’il y a longtemps qu’on n’engage plus avec des CDI ^[Contrat de travail à Durée Indéterminée], mais qu’on fait des CDD ^[Contrat de travail à Durée Déterminée] et qu’on profite de la fin d’un CDD pour faire des économies. * Une personne est absente pour « maladie de longue durée ». Je pense que, comme moi, vous avez déjà vu et entendu tout cela et peut-être bien d’autres choses encore. Comment va-t-on faire pour assurer à 9 ce qu’on faisait à 10 ? Il y a différentes possibilités : * On donne à chacun plus de travail : * plus de dossiers à gérer * plus de patients ou de résidents à prendre en charge * plus de clients à servir * plus d’élèves dans les classes * On laisse les employés qui restent se répartir le travail. * On leur demande d’« en faire plus » — mais sans faire d’heures supplémentaires, bien sûr ! Vous connaissez ce genre d’injonctions paradoxales qui ajoutent au stress un sentiment de culpabilité. * etc. On arrive ainsi à la situation suivante : ![[4. Certains compensent.jpg]] *Figure 4* L’***ampleur de la tâche*** est couverte, sans que ni *A*, ni *B*, ni *C*, ni *D* n’aient rien changé à leur manière de travailler. Ils ne sont pas en souffrance. Mais *E*, *F*, *G* et *H* en font plus que normalement. Et *I*, qui est particulièrement performant, en fait nettement plus. La direction est contente. Les actionnaires sont contents, l’entreprise est plus profitable qu’avant. L’état est content, il fait des économies. Mais ce qui doit arriver arrive : *I* finit par craquer. On a alors cette situation : ![[5. Un épuisé.jpg]] *Figure 5* On devrait commencer à se poser des questions et engager quelqu’un, n’est-ce pas ? Mais non, ce n’est pas ce qu’on fait. Avec encore une personne en moins, l’état est encore plus content, il fait encore plus d’économie. Ou les actionnaires sont encore plus contents, l’entreprise est encore plus profitable, ils peuvent s’en mettre *plein les poches*. Alors on « met la pression » aux travailleurs, pour qu’ils assurent quand même l’***ampleur de la tâche***, tant bien que mal et à n’importe quel prix pour eux-mêmes. On arrive à cette situation : ![[6. On compense à huit.jpg]] *Figure 6* Maintenant, tout le monde est en souffrance et l’***ampleur de la tâche*** n’est plus complètement couverte, mais on reste dans le déni. Il y a des usagers mécontents ou en danger — ce sont * des assurés * des bénéficiaires * des clients * des patients * des élèves et des parents d’élèves * etc. Les délais s’allongent. Les personnes qui travaillent ont de moins en moins de vie privée. Maintenant, c’est *H* qui craque : ![[7. Deux épuisés.jpg]] *Figure 7* C’est ennuyeux, l’***ampleur de la tâche*** n’est franchement plus couverte et ça pourrait se voir. Alors on met encore plus de pression sur ceux qui restent. Ils font tout ce qu’ils peuvent : ![[8. Tout le monde est surmené.jpg]] *Figure 8* On remarque que pratiquement tout le monde souffre et certains sont carrément en grande souffrance. De plus, l’***ampleur de la tâche*** ==ne peut plus== être couverte. C’est, à mon avis, dans cette situation-là que nous nous trouvons aujourd’hui . Tel est le constat : * *J* est à la retraite ou au social ; * *I* est au chômage ou déjà au social, après avoir été en arrêt-maladie de longue durée pour soigner son burn-out ; s’il a été suffisamment abîmé, il est éventuellement au bénéfice d’une rente d’invalidité ; * *H* est lui-même en arrêt-maladie de longue durée et chez un ou une psy pour se remettre de son burn-out ; * demain, c’est *D*, *F* ou *G* qui va craquer, se retrouver en arrêt-maladie et qui devra se mettre sur la liste d’attente d’un psy pour qu’il l’aide à se remettre de son burn-out. Pendant ce temps, les assurances perte de gain et l’assurance invalidité croulent sous les dossiers et soupçonnent les médecins d’exagérer parce qu’ils font « beaucoup trop de certificats » et sous-entendent que la plupart de ces certificats sont des certificats de complaisance. On continue de « mettre la pression » aux employés qui sont encore en poste en leur disant que « s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à partir, que de toute façon il y en a plein d’autres qui seront contents d’avoir leur place ». Ou bien on leur dit que « s’ils n’arrivent pas à faire tout le travail, c’est qu’ils ne savent pas s’organiser ou qu’ils ne sont pas assez performants ». Et, pour sauver leur narcissisme, ceux qui servent ce discours l’accompagnent de « le stress fait partie de la vie. Si vous craquez, c’est que vous ne savez pas gérer le stress ». <p style="text-align: center;">✦ ✦ ✦</p> Ce que je constate, en lisant la presse et en ouvrant mes yeux et mes oreilles, c’est qu’on arrive à la *fin de la partie* du *Monopoly* : * Il y a des gagnants et des perdants. Mais les perdants sont beaucoup plus nombreux que les gagnants. ⭢ * Ce qui fait que le mécontentement général augmente constamment. Les mécontents, ce ne sont pas seulement les personnes en emploi, se sont aussi, de plus en plus, les bénéficiaires, les clients, les usagers, les patients, vous et moi. * Ce n’est plus tant vrai qu’il y a « plein de gens qui seront contents de prendre la place des employés qui n’en peuvent plus ». À force, on a fini par décourager les vocations et refroidir les envies de travailler : on manque de médecins, on manque d’infirmiers, on manque de travailleurs sociaux, on manque de conducteurs de train, on manque de bras dans l’hôtellerie. Le patronat pleure de plus en plus en disant « on ne trouve plus de personnel qualifié ». ### Ce que je recommande Dans la situation telle que nous la vivons *(figure 8)*, je ne peux recommander à personne de continuer à se ruiner la santé pour tenter de faire croire qu’on peut assurer l’***ampleur de la tâche***. Je le déconseille même carrément. D’autant plus que *ce n’est plus possible*, de toute façon, d’arriver à tout faire. Je ne pense pas non plus que c’est une bonne idée de continuer à se doper à coup de somnifères, d’anxiolytiques, de tranquillisants et d’antidépresseurs pour tenter de *tenir le coup*. C’est ce qu’on a fait depuis plus de 20 ans. Je dis que **ça suffit** et que c’est la responsabilité de chacun de revenir à cette situation : ![[9. Respect de la santé de chacun.jpg]] *Figure 9* J’exhorte chacun à *travailler normalement*, sans se stresser, au plus près de sa conscience et en ménageant sa santé. Il y a du travail « pas fait » — tout le rouge dans le schéma ? Arrêtez de croire que c’est de votre faute. Réalisez que c’est la suite logique de toute une série de bêtises managériales et la conséquence logique de l’avidité de ceux qui veulent « faire toujours plus d’argent » en profitant du travail des autres. Il faut supporter « l’autre, pas content » : le petit chef, le moyen chef, le grand chef, les actionnaires, les clients… Dites-vous bien que s’ils ne sont pas contents, ce n’est pas de votre faute — c’est parce que vous n’êtes pas assez nombreux pour faire le travail. Et que si vous n’êtes pas assez nombreux, c’est la faute à toutes les bêtises antérieures, à l’incurie, aux économies de bouts de chandelle, à l'avidité des actionnaires, à la maltraitance systématique des travailleurs, etc. Bien sûr, il y aura de mauvais moments à passer, parce que ce « travail pas fait », ce seront peut-être des patients moins bien soignés, des clients moins rapidement servis, etc. Mais je pense aussi que dès qu’on s’appliquera à proposer des conditions de travail correctes, plein de gens seront prêts à reprendre certaines professions et certaines tâches. Cela fait des années que je constate que le travail est mal réparti : d’un côté ceux qui en ont trop, au point de tomber malade, de l’autre ceux qui voudraient bien en avoir et qui sont au chômage, au social ou en retraite anticipée. Il s’agit de revenir à une meilleure répartition du travail. Et peut-être s’agit-il aussi de redéfinir les priorités de notre société : le « tout, tout de suite », ce n’est pas tenable et ce n’est pas nécessaire. La croissance infinie, c’est un fantasme. Produire du *jetable*, c’est totalement absurde. Et j’en passe… *Mes deux sous…* &emsp; <p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Logo-Dr.png" class= "signature"/></a></p> <p style="text-align: center; font-style: italic;">le 25 août 2023 </p> &emsp; ---------------------------------------------- [[burn-out (domaine)]] #société #burn-out #réflexions &emsp;