# Le terrorisme relationnel
⭢ [Violence subtile](https://dr-spinnler.ch/violence-subtile/)
%% A prétend savoir ce que B pense ou ressent. Quand A essaie de mettre les choses au point, de dire ce qu’il ressent vraiment ou ce qu’il pense, B persiste et prétend mieux savoir que A. %%
Exemple classique de difficulté relationnelle :
* La personne B dit quelque chose à propos de ce que la personne A — vous, par exemple — pense ou ressent.
* Quand vous essayez de mettre les choses au point en exprimant votre pensée ou votre ressenti, la personne B — votre vis-à-vis — persiste et prétend mieux savoir que vous-même ce que vous pensez ou ressentez.
C’est du *terrorisme relationnel*.
### Quelques exemples
« Je sais très bien que tu m’en veux. »
« Je vois que tu es énervé. »
« Je vois que tu es fâché. »
« Tu penses encore à ton ex. »
« Tu fais la gueule. »
« Tu n’as toujours pas fait le deuil de… »
### Qu'est-ce qui ne va pas, dans ces phrases ?
Pour le comprendre, il faut tout d’abord avoir saisi la différence entre l’*extérieur* et l’*intérieur* d’une personne. J’en parle à cette page ⭢ [[l’intérieur et l’extérieur]].
On remarque que, dans toutes ces phrases il y a cette *erreur d’[inférence](https://fr.wikipedia.org/wiki/Inf%C3%A9rence_(logique))* :
* ==prémisse== : ^[Voir sur *Wikipédia* ⭢ [prémisse](https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9misse)] une constatation plus ou moins juste de quelque chose qui concerne l’**extérieur** d’une personne — dans « je sais que tu m’en veux », il n’y a même pas cela ; il y a juste une supposition.
* ==conclusion== : une affirmation au sujet de l’**intérieur**.
Il y a donc **deux** problèmes :
1. Même si l’observation est correcte, la conclusion n’est pas forcément juste, comme je l’ai expliqué à la page « [[l’intérieur et l’extérieur]] ».
2. C’est non seulement prétentieux, c’est en plus extrêmement **abusif**, au sens relationnel du terme, que de prétendre *savoir* ce qu’une personne pense ou ressent.
### Comment en sortir ?
Il y a deux personnes en question, dans ce genre de problématique : un *émetteur* et un *receveur*.
#### Du côté de l’émetteur
Le mieux, c’est de ne pas y rentrer. Je pense qu’à partir du moment où l’on a bien intégré la différence entre les apparences — l’*extérieur* — et la *réalité intérieure* d’une personne, on sait très bien que l’on peut se tromper et l’on fait bien attention à ne pas prendre ses impressions pour la réalité. On ne va donc plus dire des phrases telles que
* « oh, je vois que tu es triste… » ou
* « ça me fait de la peine de te voir aussi déçu » ou encore
* « mais tu ne vas pas te mettre en colère pour une si petite chose ! »
On dira plutôt des phrases telles que :
* « J’ai l’impression que tu es triste. Est-ce que je me trompe ? »
* « Est-ce que tu ressens de la déception ? » ou « J’ai l’impression que tu es terriblement déçu de… »
* « Je ne me doutais pas que \[ceci] pouvait soulever autant de colère en toi ! » et si la personne dit « mais non, je ne suis pas en colère. » on pourrait juste dire « ah, il m’avait semblé… ».
Maintenant, c’est sûr que nul n’est parfait et que ça peut arriver qu’une telle phrase nous échappe. Alors, si notre interlocuteur nous dit « mais non, pas du tout ! Je ne suis pas du tout \[triste/fatigué/fâché/déçu/contrarié/envieux/etc.] », on va juste s’excuser, en reconnaissant humblement son erreur. On dira quelque chose comme « oh pardon ! Il m’avait semblé. » ou « J’avais cru comprendre… » et soit on passera à autre chose, soit l’autre saisira la « perche qu’on lui aura tendue » et on pourra parler en toute sérénité de son **vrai** ressenti ou de ses opinions, etc.
#### Du côté du receveur : qu’est-ce qui est pénible ?
C’est quand on est soi-même la personne qui subit le terrorisme relationnel que les choses peuvent devenir pénibles, même *très* pénibles.
Simplifions le problème. La situation est donc la suivante : mon interlocuteur est convaincu
* que je pense ceci ou cela ; ou
* que je ressens telle ou telle émotion ; ou
* que je veux ou que je recherche ceci ou cela — il me fait un procès d’intention ;
* etc.
Il y a plusieurs choses à considérer :
* Ne sommes-nous pas dans une situation où il s’agirait simplement de « ne pas se soucier de ce que l’autre pense de nous » ? Si la situation est tellement difficile pour moi, cela tendrait à prouver que je ne suis pas encore totalement libéré du jugement d’autrui.
* Qu’est-ce qu’il y a comme enjeux ? Qu’est-ce que ça change, que l’autre croie ceci ou cela à mon sujet ? Pourquoi vouloir le détromper ?
* Et encore plus précisément : y a-t-il des [[enjeux pratiques et enjeux affectifs|enjeux pratiques]] ?
Commençons par cette dernière question, celle des enjeux pratiques. Regardez attentivement toutes ces situations où une personne pratique du terrorisme relationnel sur une autre et vous constaterez qu’il n’y a pratiquement *jamais* d’enjeu pratique. Et puis, s’il y en a, il convient de se concentrer en premier lieu sur ces enjeux pratiques, comme je le recommande avec la plus haute énergie. Il faut *toujours* commencer par régler les enjeux pratiques et seulement ensuite les enjeux relationnels. Dans une discussion qui commence autour d’un enjeu pratique, le terrorisme relationnel est bien souvent une tentative de détourner la discussion loin de cet enjeu pratique. Alors l’important, quand il y a enjeu pratique, c’est de ne pas se laisser avoir, de laisser de côté les enjeux affectifs et de rester avec obstination sur les enjeux pratiques.
Venons maintenant ce qu’il y a à dire sur les enjeux affectifs tels que :
* il ou elle croit que je pense ceci ou cela ;
* il ou elle pense cela de moi ;
* il ou elle croît que je suis … — mettez ce que vous voulez à la place des trois petits points ;
* et tout ce qu’on appelle les *procès d’intention* : l’autre pense que je vais faire ou dire ceci ou cela, que je ne tiendrai pas parole, etc.
Pourquoi est-ce que tout ceci nous touche ? Eh bien, regardez bien, soyez honnête avec vous-même. Et vous constaterez qu’il y a deux composantes :
* La première, c’est un problème d’image, un problème d’*ego*, donc un problème de *narcissisme*. J’ai une certaine idée de moi-même et je peine à supporter qu’« on » me voie ou me considère autrement que comment je me considère moi-même. Je peine à supporter que mon image ne soit pas celle que j’ai envie de donner.
* L’autre composante, c’est l’intensité avec laquelle je voudrais que pas seulement « on », mais surtout *cette personne en particulier* ait une bonne image de moi, pense de bonnes choses et surtout des choses *justes* à mon sujet. Je ressens fortement que *cette personne* ait une vision distordue de moi-même. Au bout du compte, cela revient à dire : « je voudrais tellement que *cette personne* me comprenne — ou m’apprécie ou m’aime ». Quand ce n’est pas le cas, j’ai perdu la complicité avec cette personne, j’ai l’impression qu’elle ne m’aime pas ou qu’elle ne m’aime plus, j’ai l’impression qu’elle me rejette ; notre relation est en danger.
Nous pouvons maintenant revenir sur la question de base :
#### Comment s’en sortir ?
1. Le premier point, bien évidemment, c’est de voir la situation dans sa globalité et avec la plus grande clarté : ^[Bien sûr que c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais c’est justement cela « être adulte » ou « avoir atteint un certain degré de maturité psychologique » : être capable de prendre de la distance intérieure, dans une situation émotionnellement chargée, afin de pouvoir considérer les choses sans être perturbé par des émotions pénibles. Ce n’est pas inné, cela s’acquiert par l’expérience de vie, le travail sur soi, la psychothérapie, la méditation.]
* bien distinguer les enjeux pratiques et les enjeux affectifs…
* … afin de ne pas se laisser emporter loin des enjeux pratiques ;
* voir quels sont pour soi-même les enjeux d’image — « je souhaite qu’on pense de moi… »
* voir si c’est un enjeu à court terme — juste sur ce coup-là — ou un enjeu à long terme, par exemple si je suis engagé dans une relation avec la personne.
1. Quand c’est le moment de régler les enjeux affectifs — donc *après* avoir réglé les enjeux pratiques —, se demander par exemple : « est-ce bien important que cette personne sache ou entende ce que je pense vraiment, ce que je ressens vraiment, etc. ? » Disons-le tout net : on ne va de toute façon pas se battre pour cela. Il n’y a de toute façon *aucun moyen d’obliger* quelqu’un à changer d’avis, à penser autre chose, à comprendre et ainsi de suite. (⭢ [[je voudrais qu’il comprenne]]).
De plus, dans ces situations de terrorisme relationnel, l’autre ne pense pas forcément ce qu’il dit ! Il peut, plus ou moins consciemment et plus ou moins intentionnellement, être dans la pire mauvaise fois, rien que pour vous faire « chevrer » ! Alors bonne chance pour le convaincre de quoi que ce soit et qu’il vous quittance en vous disant « ah pardon, je croyais… » Au contraire : il risque de se cramponner à sa [[position haute, position basse|position haute]], tant il a besoin de se sentir au-dessus de vous !
1. Je suggère de considérer également la [[Appréciation de la distance relationnelle (maturité psychologique)|distance relationnelle]], car les enjeux relationnels sont inversement proportionnels à cette distance : inexistants à la distance \[connaissances], ils sont très grands à la distance \[Superproche]. Par conséquent, si mon vis-à-vis est juste un copain, c’est beaucoup moins important qu’il sache ce que je ressens vraiment que si c’est un Ami avec un *A* majuscule.
Bien. Vous avez maintenant décidé que ça vaut la peine et que c’est le moment d’au moins *essayer* d’expliquer à votre vis-à-vis ce que vous ressentez et ce que vous pensez afin qu’il ait — *éventuellement* — une vision plus juste ou une meilleure opinion de vous même. Voici quelques suggestions.
« On va discuter maintenant de mes sentiments / de mes émotions / de ce que je pense / etc. J’ai l’impression que tu te fais des idées à mon sujet. Qu’est-ce qui te fais penser que je… ? »
« Tu es dans ma tête / dans mon cœur ? »
« Tu es télépathe ? »
Si votre vis-à-vis insiste avec des « Je vois très bien que tu es… \[énervé / fâché / contrarié / etc.]. », il faudra lui exprimer clairement : « C’est sûr, tu vois ce que tu vois. Mais je suis désolé·e, sur mes sentiments / mes pensées / mes croyances, tu fais des suppositions. Tu ne PEUX PAS savoir ce qu’il y a en moi. »
Il faudra insister et insister encore, tel un disque rayé : « Tu ne peux pas lire dans ma tête, tu ne peux pas lire mes pensées, tu ne peux pas lire mes sentiments. Tu fais des suppositions. » Et ainsi de suite. « Tes suppositions ne sont pas forcément la réalité. »
Un autre élément est le suivant : « Quand je te dis que je ne suis pas fâché \[mettez là tout autre sentiment ou émotion], je te prie de me croire. Si tu ne me crois pas, c’est grave ! » ou « Si tu ne crois plus ce que je te dis, nous avons un grave problème. »
Arrivé à ce point, si le vis-à-vis continue d’insister avec ses prétentions de lecture de pensées ou de sentiments, vous ne pourrez pas ne pas constater que la discussion tourne en rond, qu’en fait il n’y a pas de discussion. Vous êtes en train de parler de couleurs avec un aveugle, vous êtes en train d’expliquer quelque chose à quelqu’un qui *ne veut pas* comprendre. Dit autrement, vous êtes en train de perdre votre temps et votre énergie. Alors c’est le moment de clore la discussion avec :
« Bon, je constate que tu n’essaies même pas de comprendre/de m’entendre. Je constate que tu ne veux pas croire ce que je te dis. Alors nous allons arrêter là la discussion. Je te laisse croire ce que tu veux. De toute façon, je ne pourrai jamais t’en empêcher/te l’interdire. »
Je pense que cette suite d’affirmations est absolument fondamentale. Il faut que vous ayez vous-même compris et accepté cela, intégré cela : chacun a le droit de penser ou de croire ce qu’il veut ; et quant à nous-même, il nous faut parvenir à ne pas être affectés par ces pensées et ces croyances quand elle sont fausses, injustes, etc. C’est l’objet d’un travail sur soi, c’est un vrai objectif de sagesse. Quand nous sommes totalement libérés de l’opinion des autres à notre sujet, nous avons simplement une énorme liberté intérieure.
#### « Un proche qui pense du mal de moi, ça fait mal »
Certes. C’est évident qu’il est beaucoup plus facile de se ficher de ce qu’une connaissance pense de nous que de se ficher de ce que pense un Ami avec un *A* majuscule ou, encore plus difficile, notre Superproche. Ce que j’en dis, c’est qu’il ne faut pas prendre le problème à l’envers :
* D’être compris et accepté tout entier, c’est une attente légitime concernant un Ami ou son Superproche.
* Par conséquent, si une personne persiste à ne pas nous voir tel que nous sommes et pratique régulièrement avec nous du terrorisme relationnel, si une personne refuse régulièrement de nous croire, il nous faut nous demander si cette personne mérite d’être considérée comme un Ami ou une Amie avec un *A* majuscule.
C’est exactement la même chose qu’avec les toxiques relationnels : les toxiques de la catégorie « à éviter le plus possible », on ne peut interdire à personne de les pratiquer. Mais on peut attendre de nos Amis et, encore plus, de notre Superproche qu’ils fassent vraiment très attention à ne pas en commettre, qu’ils en commettent le moins possible et que, quand l’un ou l’autre toxique leur échappe quand même, qu’ils s’excusent humblement et sincèrement. À défaut, il devient difficile, à mon sens, de croire longtemps qu’ils tiennent à la relation. Au lieu de perdre du temps et de l’énergie à « corriger » l’autre, nous avons bien meilleur temps de **décider** de ne pas nous laisser intoxiquer, de ne pas nous exposer constamment au terrorisme relationnel. Et si ça doit impliquer de laisser une grande distance relationnelle s’installer, considérons que nous ne perdons pas grand chose, car une relation pleine de toxiques, sans vérité, sans écoute, sans bienveillance est une relation qui n’a rien de précieux, qui apporte plus de désagréments que de richesses.
### Généralisation
Chaque fois que quelqu’un dit quelque chose qui concerne votre *[[l’intérieur et l’extérieur|intériorité]]* et qu’il est trop affirmatif, il faut prendre l’habitude de tout de suite mettre les choses au point : « C’est ce que vous croyez. Ce n’est pas forcément la vérité. »
⭢ [[entretiens d’évaluation]]
 
<p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Logo-Dr.png" class= "signature"/></a></p>
<p style="text-align: center; font-style: italic;">le 24 septembre 2023
</p>
 
----------------------------------------------
[[portail de la psychologie et de la psychothérapie]]
#relations #psychoPhilo