# Je voudrais qu’il comprenne !
Que de fois n’ai-je pas entendu cette petite phrase ! Vous aussi, sans aucun doute. Peut-être vous arrive-t-il de la dire ou de la penser. Eh bien, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous. La mauvaise nouvelle, c’est que si vous vous trouvez dans une situation où vous « voudriez qu’il ou elle comprenne », c’est pratiquement garanti qu’il ne comprendra jamais ce que vous voulez qu’il comprenne. La bonne nouvelle, c’est que quand vous aurez compris pourquoi, vous pourrez renoncer à cette attente et que vous en éprouverez un immense soulagement. J’ai même une nouvelle encore meilleure : vous économiserez une quantité incroyable d’énergie que vous pourrez utiliser à des choses constructives. Explications.
C’est bien facile de dire « je voudrais qu’il comprenne ». Mais réfléchissons un peu. Que faut-il pour qu’une personne comprenne une certaine chose ? Je vais prendre un exemple très simple, une équation mathématique assez élémentaire :
$\left ( a + b \right )^{2} = a^{2} + b^{2} + 2ab $
Est-ce que tout le monde comprend ça ? Je pense que vous savez bien que non. Demandons-nous ce qu’il faut à n’importe qui pour comprendre cette équation.
Tout d’abord, il faut connaître la notation algébrique. Il faut savoir que *a* et *b* représente des nombres ou des quantités et qu’on doit pouvoir les remplacer par n’importe quel nombre.
Ensuite, pour comprendre ce que veut dire
$a^{2}$
il faut savoir que cela signifie « *a* à la puissance 2 » ou « *a* au carré » en notation mathématique. Il faut ensuite savoir que « à la puissance 2 » ou « au carré » cela veut dire « *a* multiplié par *a* ». C’est une connaissance que l’on a ou que l’on n’a pas. Il n’y a rien à comprendre, il faut juste le savoir. De même, il faut savoir que
$2ab$
cela signifie « 2 fois *a* fois *b* ». C’est une donnée qu’il faut connaître. Il n’y a rien à comprendre.
Maintenant, pour comprendre l’équation, il faut connaître les règles de l’algèbre ou bien faire soi-même tout le raisonnement et le développement en utilisant la logique mathématique. Pour certaines personnes c’est un jeu d’enfant ; pour d’autres, c’est plus difficile. Et peut-être bien que pour certaines personnes qui n’ont pas du tout les capacités intellectuelles nécessaires, c’est carrément impossible. De toute manière, on peut dire que pour la plupart des gens avec une intelligence « suffisante », il va falloir qu’ils « s’y collent », il va falloir qu’ils fassent un effort pour comprendre cette équation. Il n’y a que certains surdoués qui vont comprendre cette équation rien qu’en la regardant.
Bien. Nous avons établi que, pour tout le monde, pour comprendre cette équation, il faut les données de base et une certaine dose d’intelligence. Une fois qu’on a cela, il faut ensuite, pour la plupart des gens, un certain travail, un certain effort pour arriver à comprendre. Si la personne fait l’effort, elle arrivera à comprendre. Si elle ne fait aucun effort, elle n’y arrivera pas. Qu’est qui fait la différence entre le fait qu’une personne fasse ou ne fasse pas un effort pour arriver à un résultat ? La bonne volonté. Eh oui ! Pour que quelqu’un comprenne quelque chose, il faut qu’il y mette de la bonne volonté !
Est-ce que tout le monde va comprendre en 30 secondes ? Certainement pas ! En combien de temps ? 5 minutes ? 10 minutes ? un quart d’heure ? Au fond, peu importe. Ce que je veux souligner, c’est que pour que quelqu’un comprenne quelque chose, il faut aussi lui laisser du temps. On ne peut pas _exiger_ qu’il comprenne _tout de suite, là, maintenant_.
Nous pouvons résumer tout cela sur une petite fiche que je vous suggère de bien mémoriser :
![[Compréhension.svg]]
Chose intéressante à remarquer : de ces quatres choses nécessaires pour que votre vis-à-vis comprenne ce que vous voudriez qu’il comprenne, lesquelles dépendent de vous ? Prenez le temps de réfléchir. Vous voyez où je veux en venir ? La _SEULE_ chose qui dépend de vous, c’est de donner les informations pertinentes. Si la personne en face de vous n’a pas les capacités intellectuelles — ou les compétences ou les connaissances fondamentales, mais ça revient au même — pour comprendre ce que vous lui expliquez, il n’y a rien que vous puissiez faire pour la rendre intelligente ou compétente ou pour lui infuser les connaissances qui lui manquent. Et le troisième point est le plus critique : comment pourriez-vous obliger quelqu’un à comprendre s’il n’en a surtout pas envie, s’il n’est pas disposé à y mettre un minimum de bonne volonté ? Vous vous rendez bien compte que c’est peine perdue que d’essayer ! Quant au temps qu’il lui faut, la seule chose que vous puissiez faire, c’est d’attendre qu’il comprenne, si les trois premières conditions sont remplies. Sur ce facteur-là non-plus, vous n’avez aucune prise : vous ne pouvez pas accélérer le processus, vous ne pouvez rien faire pour que la personne comprenne plus vite. Il est totalement vain d’attendre — et encore moins d’exiger — que la personne comprenne _tout de suite_.
### Quelques exemples assez typiques
* L’ado de 15 ans qui ne comprend pas pourquoi vous lui demandez d’être à la maison à 22 heures, la semaine.
* L’ado qui ne comprend pas pourquoi vous ne lui donnez pas plus que tant d’argent de poche et pourquoi le crédit de son téléphone est inclus dans ce montant.
* Le compagnon ou la compagne qui ne comprend pas pourquoi vous allez au cinéma avec un ami ou une amie.
* L’ex qui ne comprend pas pourquoi vous demandez une pension pour les enfants.
* L’enfant qui ne comprend pas pourquoi vous ne lui achetez pas le jouet ou la friandise qu’il convoite.
* L’ami, en vacances, qui ne comprend pas pourquoi vous préférez lire dans le jardin plutôt que d’aller faire un tour à vélo.
* Le conjoint qui ne comprend pas que vous préfériez rester à la maison, plutôt que de sortir, un troisème jour de suite.
* L’employé qui ne comprend pas pourquoi la responsable du paiement des salaires a besoin de ses décomptes d’heures avant le 20 du mois.
* Le client qui ne comprend pas que vous lui demandiez de verser un accompte lors de la commande.
### Quelques réflexions complémentaires, pour ne plus tomber dans le piège
Pourquoi est-ce qu’on est si souvent pris dans ce piège du « je voudrais qu’il comprenne » ? Il faut se demander : « au fond, c’est _quoi_ que je voudrais qu’il comprenne ? » Si l’on y regarde bien, tout au fond de soi, on se rend compte que c’est quelque chose comme « je voudrais qu’il comprenne que je ne fais pas ça pour l’embêter ». Ou « je voudrais qu’il comprenne que ça ne veut pas dire que je ne l’aime pas ». Ou encore « je voudrais qu’il comprenne que je ne suis pas méchant, lorsque je demande ça ». Et ainsi de suite. Nous nous aperçevons que c’est souvent par crainte d’entacher la relation, ou de ruiner ce que l’autre pense de nous, que nous voudrions qu’il _nous_ comprenne, en fait. On peut aussi dire que c’est, bien souvent, un problème d’image : je tiens à ce que l’autre ait une _bonne image_ de moi.
Une fois que nous réalisons cela, nous voyons que nous pouvons comprendre le problème sous l’angle de la confusion entre les enjeux _pratiques_ et les enjeux _affectifs_. L’enjeu pratique c’est, par exemple : « j’ai besoin du décompte des heures le 20 à midi pour pouvoir verser les salaires le 21. » L’enjeu affectif c’est : « je ne veux pas passez pour une emm… ». Ou bien l’enjeu pratique est : « mon budget pour l’argent de poche des enfants c’est tant par mois », tandis que l’enjeu affectif, c’est : « je ne veux pas passer pour un parent mesquin aux yeux de mes enfants ».
Par conséquent, pour sortir du piège, il faut surtout gérer ces enjeux affectifs. Il faut se libérer du « besoin que l’autre ait une bonne image de moi ». Il faut réaliser que nos demandes ou nos décisions sont légitimes et que si l’autre en tire des conclusions excessives et injustes sur nous, c’est _son problème_, pas le nôtre. Face à des enfants, face à des clients excessivement exigeants, face à des collègues égoïstes, il faut assumer d’être, à l’occasion, le « mauvais objet » de ces personnes. Il faut supporter l’autre « pas content ». Sinon, nous serons régulièrement la proie de chantage du type « fais ci, fais ça, sinon, moi pas content ».
C’est là que mon modèle des distances relationnelles ^[Voir mon livre [Vivre heureux avec les autres](http://dr-spinnler.ch/Auteur/), aux *Éditions Odile Jacob*] aide grandement. Une fois qu’on a réalisé qu’il n’est pas du tout important qu’une connaissance ou un copain ait une « bonne image de nous », il devient beaucoup plus facile de supporter qu’il ne soit pas content ou qu’il pense que nous sommes méchant. On peut même concevoir qu’un ami avec petit _a_ ne soit pas content, à l’occasion, parce qu’on refuse d’être à sa disposition, par exemple. Quant à un Ami ou une Amie avec un grand _A_, il est évidemment hors de question qu’il nous fasse du chantage affectif, n’est-ce pas ? Et il est tout aussi hors de question qu’il ou elle ne fasse aucun effort pour nous comprendre, sinon comment pourrions-nous le considérer comme un Ami avec un _A_ majuscule ?
 
<p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Logo-Dr.png" class= "signature"/></a></p>
<p style="text-align: center; font-style: italic;">le 23 octobre 2013
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[[portail de la psychologie et de la psychothérapie]]
#psychoPhilo #relations