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> Publié dans la revue [*Recto Verseau*](https://www.recto-verseau.ch/). Je ne retrouve plus dans quel numéro… Toutes mes excuses.
 
# Autour du pardon
<p style="text-align: right;font-style:oblique">! <a data-href="Food for thought" href="https://legerement-serieux.ch/Fiches/PsychoPhilo/Food+for+thought" class="internal-link" target="_blank" rel="noopener">Food for thought</a> !</p>
Je pense pouvoir affirmer que tout le monde est d’accord pour dire qu’il est bon de _pardonner_, quand on a subi quelque offense que ce soit, de la plus petite à la plus énorme. On dit même qu’il _faut_ pardonner. Pourtant, cela paraît bien souvent difficile, voire impossible. « Je ne peux pas lui pardonner. » Ou « Je ne pardonnerai jamais ! » entend-on souvent. Pourquoi est-ce si difficile ?
## Les différents sens du mot « pardon »
À force de tourner autour de ce concept, je me suis rendu compte qu’il y a deux sens très différents au mot « pardon » et au verbe « pardonner ».
### Abandonner le ressentiment
Une personne qui n’a pas pardonné est dans le ressentiment. Souvent, elle garde rancune. Voire, dans les cas les plus terribles, elle a envie de se venger: « je voudrais qu’il souffre comme il m’a fait souffrir ! » Ou bien elle a envie de punir son offenseur. Elle ressent de la haine, de la colère. Je n’ai probablement pas besoin de vous convaincre à quel point ces émotions sont toxiques pour soi-même. Il est évident que tant qu’on a ce genre de sentiments à l’intérieur de soi, on ne saurait être léger, on ne saurait être complètement heureux. Nous voici arrivés au premier sens de pardonner : il s’agit de sortir de ces émotions, de ces sentiments, de ce genre de pensées. C’est une fois qu’on n’a plus du tout de haine, de rancune, de ressentiment et ainsi de suite, à l’égard de l’offenseur, que l’on peut dire que l’on a vraiment, totalement pardonné ou, plus exactement, que l’on _est dans le pardon_.
Une première remarque capitale, c’est que ce processus est un processus de soi à soi. La collaboration de l’offenseur n’est absolument pas nécessaire. Elle peut être utile, mais elle n’est pas indispensable.
Un deuxième point que je voudrais souligner, c’est qu’avec un minimum de maturité et, à plus forte raison, lorsqu’on commence à être un tant soit peu dans la sagesse, on n’a même pas le plus petit début d’une envie de se venger, ni de punir, ni on ne commence a ressentir de la haine. On n’entre même pas dans le ressentiment. Ce qui fait qu’au bout du compte, on n’a même pas à pardonner. On est déjà et l’on demeure dans le pardon.
### Accorder le pardon
À l’occasion, l’offenseur peut venir vers vous, dans une attitude de repentir, pour vous présenter ses excuses sincères et vous demander votre pardon. À ce moment-la — et à ce moment-là seulement — vous avez la possibilité de lui accorder le pardon c’est-à-dire, comme on le dit couramment, de lui pardonner. Vous remarquez que c’est un sens extrêmement différent du premier !
Je pense que nous avons là la raison pour laquelle il est souvent si difficile de pardonner. C’est que tant que votre offenseur n’est pas venu demander votre pardon, vous êtes bien en peine de le lui donner. Et pour cause. Quand bien même seriez-vous prêt à le lui accorder, votre pardon, vous ne pouvez tout simplement pas. Vous ne pouvez littéralement _pas_ lui pardonner !
## Du point de vue de l’offenseur
Jusque là, je n’ai parlé que du point de vue de l’offensé. Il est clair que la responsabilité du _pardon_ est bien de son côté à lui. Mais ce n’est pas pour autant que l’offenseur n’a plus rien à faire, après que le mal ait été commis.
Les toxiques psychologiques, du côté de l’offenseur, sont le _remords_ et la _culpabilité_. Il s’agit de sortir de la culpabilité, comme il s’agit de sortir du ressentiment. Je n’ai pas ici la place de développer tout ce qui tourne autour de la culpabilité, mais le point essentiel, c’est qu’il faut arriver à un _vrai repentir_. Il s’agit de reconnaître qu’on a commis une ou plusieurs fautes, d’avoir bien réalisé laquelle — ou lesquelles — et de faire toute une démarche intérieure et extérieure.
La partie intérieure de la démarche, c’est de _reconnaître_ sa faute, d’apprendre ce qu’il y a à apprendre et d’être déterminé à ne plus commettre cette faute une nouvelle fois. Il s’agit ensuite de tout mettre en œuvre afin d’y parvenir.
Quant à la partie extérieure de la démarche, elle consiste en deux volets :
1. réparer ce qui est réparable ;
1. aller au-devant de l’offensé, lui présenter des excuses sincères pour le mal commis et demander son pardon.
Ceci fait, il est absolument clair qu’accorder ou non son pardon, c’est à la totale discrétion de l’offensé. Cela lui appartient. Vous aurez fait votre devoir et votre possible. S’il vous accorde son pardon, c’est une courtoisie, une sorte de cadeau qu’il vous fait qui va vous _aider_ à vous débarrasser de tout sentiment de culpabilité. S’il ne vous accorde pas son pardon — parce qu’il n’en est pas capable ou parce qu’il préfère garder du ressentiment à votre égard — vous aurez de toute manière fait ce que vous pouvez. Le _pardon_ est un cadeau que l’offensé peut faire à l’offenseur pour l’aider à sortir de la culpabilité. S’il décide de ne pas lui faire ce cadeau, l’offenseur peut tout de même se sentir libéré de la culpabilité. Présenter ses excuses à l’offensé, lui demander son pardon, c’est un cadeau qu’on lui fait pour l’aider à sortir du ressentiment, pour l’aider à entrer dans le sentiment de pardon. S’il refuse ce cadeau, cela lui appartient. Ce qui appartient à l’offenseur, c’est ce travail intérieur du _repentir sincère_. En tant qu’offenseur, c’est _vous et seulement vous_ qui pouvez savoir si vous êtes sincère ou pas. Ainsi, c’est à vous de savoir si vous êtes libre de tout sentiment de culpabilité ou pas. Vous n’avez pas fondamentalement besoin du pardon de l’offensé.
## En résumé
Si l’on est l’offenseur, les choses sont finalement assez simples : il s’agit de reconnaître sa faute, vis-à-vis de soi-même comme vis-à-vis de l’offensé. Ce qui revient à entrer dans un repentir sincère. À partir de là, on peut aller au-devant de l’offensé et lui présenter des excuses sincères pour le mal commis à son égard. On lui _demande son pardon_. Qu’il est libre de nous donner ou pas, cela lui appartient. Mais au moins, nous aurons fait notre part et nous pourrons de toute manière ne plus nous sentir coupable.
Du côté de l’offensé, les choses sont plus complexes puisqu’il fait face, possiblement, à deux tâches :
1. sortir du ressentiment — s’il y a versé — pour entrer dans le pardon ;
1. accorder le pardon à son offenseur, si celui-ci vient le lui demander.
## En pratique, quelques conseils
1. Afin de sortir du ressentiment et d’entrer dans le pardon, c’est souvent une bonne idée de _ne pas prendre personnellement_ l’offense. Un seul exemple : les insultes. Rappelez-vous : « L’injure ne qualifie que son auteur. »
1. Si votre offenseur ne vient pas vous demander pardon, vous n’avez même pas à y penser : vous ne _pouvez pas_, pour des raisons pratiques, lui accorder votre pardon. Mais cela ne vous dispense pas de sortir du ressentiment et des autres émotions toxiques pour vous établir dans un _état d’esprit de pardon_.
1. Même chose si votre offenseur ne _peut pas_ vous demander pardon, parce qu’il est mort par exemple. Vous ne pourrez pas lui pardonner en face à face, mais il n’y a aucune raison pour que cela vous empêche d’arriver tout de même au pardon.
1. Si votre offenseur vient vous présenter ses excuses et vous demander pardon, vous n’êtes tenu de lui pardonner que _si_ et exclusivement _si_ son repentir est sincère. Il y a des gens qui s’emportent un jour contre vous, disent des horreurs et viennent ensuite la bouche en cœur vous dire « je m’excuse ». Sans que ça les empêche de recommencer un peu plus tard. C’est trop facile. Exigez alors qu’ils soient spécifiques : « de quoi est-ce que tu t’excuses ? » « Quelle faute reconnais-tu avoir commise ? » « Comment comptes-tu t’y prendre pour ne pas recommencer ? » Vous voyez qu’il s’agit non seulement de tester la sincérité du repentir, mais aussi d’aider la personne à y parvenir. Seulement à la toute fin pourrez-vous éventuellement dire : « c’est bon, je crois que tu es sincère. Alors je te pardonne. »
1. Ce qui peut nous aider à entrer dans le pardon, c’est aussi, bien souvent, de réaliser que l’offense subie _dans le passé_ n’a plus forcément de retentissement sur notre vie _aujourd’hui_. C’est quand nous y pensons que nous en souffrons encore. Il s’agit alors exclusivement d’_accepter_ que quelque chose de désagréable se soit passé et de ne plus y penser. Cela aussi, cela fait partie de pardonner : ne plus faire cas du tout de l’offense subie.
## Et les choses impardonnables ?
Oui, certes, il y a des actes impardonnables : on peut penser à la violence extrême, aux graves abus de confiance, aux escroqueries, à la torture… La réponse, au cas où vous auriez subi vous, ou l’un de vos proches, une offense de cet ordre de grandeur extrême, tient en ces quelques points :
* Dans de tels cas, il est de toute manière extrêmement rare que l’offenseur vienne demander pardon. En conséquence, on n’a alors même pas à entrer en matière quant à savoir s’il faut lui pardonner ou pas.
* Au cas où il viendrait tout de même demander pardon et même en supposant qu’il fasse montre d’un repentir profond et sincère, je pense qu’on peut lui répondre quelque chose comme ceci :
* En ce qui me concerne, je ne te garde pas rancune, je n’ai aucune haine envers toi. Je suis dans le pardon.
* Mais je continue à considérer que ce que tu as fait, c’est un acte impardonnable.
* Alors non, je ne te donnerai mon pardon.
* De toute façon, tu auras à faire face aux conséquences spirituelles de tes actes. Ce n’est pas mon affaire.
Puissent ces quelques considérations vous aider à tout jamais à être dans le pardon, à vous libérer de tout ressentiment.
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<p style="text-align: center; font-style: italic;">le 1er septembre 2015
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