# Autour de la culpabilité
<p style="text-align: right;font-style:oblique">! <a data-href="Food for thought" href="https://legerement-serieux.ch/Fiches/PsychoPhilo/Food+for+thought" class="internal-link" target="_blank" rel="noopener">Food for thought</a> !</p>
Contrairement à ce que pensent certains psychanalystes et certains théologiens chrétiens ^[Nous serions tous marqués par le *péché originel* et condamnés à le porter pour l’éternité. ], je ne pense pas du tout que le sentiment de culpabilité soit quelque chose qui fasse partie intégrante de la condition humaine et qu’on serait voué à se sentir perpétuellement coupable, sous prétexte que nous commettrions perpétuellement des fautes. Ma conviction est qu’on doit pouvoir *se laver de toute culpabilité* et se sentir libre de ce sentiment si pénible. Mais pour y parvenir, il y a toute une démarche à faire.
Comme souvent, la démarche que je présente ici est une *synthèse* de toutes sortes de démarches que vous trouverez, sous des formes diverses, dans des religions, des textes philosophiques, des textes de développement personnel, etc. Elle n’est pas en opposition avec ce que vous pouvez lire ou entendre ailleurs. Au pire, c’est la même chose, dit autrement. Au mieux, cela complètera et simplifiera des approches qu'on vous présente souvent sous des formes très compliquées.
### Que signifie « culpabilité » ?
Plus qu’en d’autres domaines, il est ici fondamental de revenir à l’étymologie du mot. *Culpa*, en latin, signifie la *faute* ^[En italien, le mot est resté presque identique : *colpa*.]. *Culpabilis*, qui a donné *coupable*, signifie « qui a commis une faute ». Sans *faute*, point de ***culpabilité*** !
### Première étape de la démarche : ai-je commis une faute ? Laquelle ?
Tout au long de mon activité de psychothérapeute, j’ai réalisé que certaines personnes étaient « capables » de se sentir coupables alors qu’elles n’avaient même pas commis de faute ! Par exemple : telle personne perfectionniste a perpétuellement l’impression qu’elle « aurait pu faire mieux ». Comme elle n’a pas « tout fait bien » — dans son autoappréciation de ses œuvres —, elle s’attend à recevoir des remontrances ou à être accablée de critiques et de reproches. D’ailleurs, elle se les administre à elle-même, ces reproches et c’est pourquoi elle se sent coupable. On voit que le travail doit se faire à ce niveau-là et que ce serait parfaitement inutile que de continuer *comme si la personne avait commis une faute*, alors qu’il n’en est rien.
À ce stade de la démarche, il faut vraiment répondre avec précision aux questions posées dans le titre de ce paragraphe et pouvoir dire : « J’ai fait telle faute. » ou « La faute que j’ai commise, c’est… ». Bien souvent, ce n’est pas si simple de répondre à ces questions. Introspecter pour y parvenir c’est, bien souvent, déjà un travail psychothérapeutique.
### Deuxième étape : l’analyse complète de la — ou des — faute(s)
À partir du moment où il est patent qu’il y a une ou plusieurs fautes commises, il convient de les analyser et d’avoir une vision aussi complète que possible des implications de ces fautes. D’où ce [[mindmap]] que nous allons examiner en détail :
 
![[Culpabilité.jpg]]
 
##### Quelle faute ai-je commise ?
En principe, après l’analyse faite à la première étape, on a la réponse. Mais attention : il ne faut pas se contenter d’une réponse superficielle. Par exemple : une personne a bu de l’alcool et cause un accident de la circulation. Quelle est la faute ? Avoir bu de l’alcool ou avoir conduit après avoir bu de l’alcool ? Ou bien est-ce d’avoir bu *trop* d’alcool ? Peut-être que la vraie faute, c’est d’avoir été inattentif, indépendamment de la quantité d’alcool ingurgitée, ou imprudent, et ainsi de suite. C’est ainsi qu’il peut y avoir non pas *une*, mais *plusieurs* fautes. ⭢ [[causes et effets]]
##### Contre quelle loi ai-je fauté ?
Certes, il y a les lois du Code civil que chacun est censé observer. Mais il y a aussi des lois non écrites telles que les règles de l’amitié, la réciprocité dans les échanges, le fait de rendre des services ou pas, etc. Il y a les questions liées au respect dû aux choses, à la nature, aux personnes, etc. C’est tout cela qui peut introduire une part d’arbitraire : ce qui paraît une faute à l’un n’est pas forcément une faute pour l’autre. S’agissant du *sentiment* de culpabilité, c’est avant tout une affaire de soi à soi. Mais s’il y a une personne lésée, il faudra bien entendu tenir compte de son appréciation à elle.
##### Quelle est la gravité de ma faute ?
Là aussi, il y a une part d’arbitraire. Parfois il y a un consensus social, parfois pas. Un exemple typique, c’est justement la consommation d’alcool. Il y a des groupes où il est *normal* de consommer des quantités importantes d’alcool, tandis que d’autres groupes considèrent qu’une seule goutte, c’est déjà trop. Ainsi « boire un verre de blanc » ne sera pas du tout considéré comme une faute dans tel groupe, tandis que dans tel autre groupe, ce sera considéré comme une faute très grave.
Autre considération : il faut absolument dissocier la faute elle-même des *conséquences* de la faute. Il est tout à fait possible qu’une faute grave n’entraîne aucune conséquence, tandis qu’une faute légère peut provoquer des conséquences graves. D’où la suite de l’analyse.
##### Qui est lésé ?
Parfois c’est très simple à établir, parfois c’est plus compliqué. Dans un nombre non négligeable de cas, on doit prendre aussi en compte les victimes *indirectes*.
Autre point : parfois, le lésé, c’est juste soi-même. Typiquement, la personne « s’en veut à elle-même ». Toute l’analyse que nous sommes en train de parcourir, c’est aussi pour sortir de ce genre de ruminations.
##### Quelle est l’ampleur du dommage ?
Comme dit plus haut, ce n’est pas forcément en rapport avec la faute elle-même. Il est très important d’être le plus honnête possible dans l’évaluation de ces dommages et de le faire dans une optique d’*analyse intégrale* ^[Cf. les [[quatre quadrants|quatres quadrants]]] :
* les dommages visibles, objectifs, quantifiables ;
* les dommages psychologiques et émotionnels ;
* les dommages pour chaque protagoniste ;
* les dommages occasionnés à la collectivité.
##### Est-ce que j’aurais pu éviter de commettre cette faute ? Comment ?
Peut-être qu’on savait déjà comment ne pas commettre la faute, peut-être pas. Peut-être la faute était-elle facilement évitable, peut-être pas. Il convient de le reconnaître honnêtement.
### Troisième étape : le repentir
Il s’agit d’arriver au *repentir* véritable et authentique. C’est tout un processus et c’est ce processus que nous allons voir en détail. Il s’appuie sur l’analyse préalable que nous venons de voir et c’est pourquoi cette analyse est *indispensable* !
#### Première composante du repentir : assumer les conséquences
Il s’agit d’assumer *toutes* les conséquences, y compris la *juste punition*.
Je n’irai pas dans plus de détail, car cela déborderait de beaucoup le cadre de ce billet. Juste deux considérations :
* C’est pour éviter aussi bien de *banaliser* que de *dramatiser* que nous avons pris la peine de nous demander *qui* était lésé et quelle était l’ampleur des dommages. Le mot clef, c’est l’*honnêteté*.
* « Se sentir coupable », c’est souvent une forme d’*autopunition*. Se sentir coupable *à l’infini* ou *éternellement*, ce n’est jamais une *juste punition* ; c’est certainement excessif, quelle que soit la faute. Sortir de la *culpabilité*, c’est mettre un terme à cette *punition injuste*.
#### Deuxième composante du repentir : la réparation
Il est parfois possible de *réparer* les conséquences de la faute, en particulier quand il s’agit de matériel — une somme d’argent peut être rendue, par exemple, ou un bien cassé peut être réparé ou remplacer. En ce qui concerne le *tort moral* causé, ou de tous les autres dommages psychologiques, il est évidemment impossible de réparer quoi que ce soit ; il est juste éventuellement possible d’offrir une sorte de compensation. Mais il faut bien réaliser qu’un dédommagement matériel ne guérit pas les plaies psychologiques ou morales.
#### Troisième composante du repentir : l’apprentissage
Là aussi, le mot clef est l’*honnêteté*. Il y a aussi l’*humilité* qui entre en jeu. Il faut reconnaître avoir été faillible, ou stupide, ou trop pressé, ou distrait, ou trop léger, ou imprudent, ou avide, etc. Il faut en tirer les leçons. C’est ainsi qu’on ressort grandi, dans tous les sens du terme, d’une démarche de repentir.
#### Quatrième composante du repentir : l’amendement
S’*amender*, c’est corriger en soi ce qu’il y a à améliorer, c’est changer, c’est devenir une meilleure personne. Il faut être déterminé à le faire et le faire vraiment. Il s’agira de mettre en œuvre ce que nous aurons appris — cf. le point précédant —, à deux niveaux :
1. être déterminé à changer ;
2. faire le maximum pour éviter de commettre à nouveau la même faute.
C’est pour ce dernier point que nous nous sommes demandé, dans l’étape préalable, si nous aurions pu éviter de commettre la faute et comment.
#### Cinquième composante du repentir : la demande de pardon
Arrivé à ce point-là et seulement *après* avoir parcouru toutes les étapes de cette démarche, on peut envisager de présenter ses excuses au(x) lésé(s). Que ce soit obligatoire ou non, je dirais que c’est au cas par cas. Mais dans les cas les plus graves — grands dommages causés et impossibilité de réparer, en particulier les dommages moraux —, il est *fondamental* de le faire. Il s’agit de *demander le pardon*. C’est aussi une question d’élégance morale.
⭢ voir aussi : [[autour du pardon]]
### Quatrième étape
En fait, il n’y a pas de quatrième étape ! Après les trois premières étapes, la personne *coupable* :
* a compris quelle était vraiment sa ou ses faute(s) ;
* a revu les lois et les règles en vigeur ;
* elle les admets ;
* a vu honnêtement toutes les conséquences de sa faute, toute la portée de ses erreurs, aussi bien sur le plan matériel que sur le plan moral et psychologique ;
* a assumé les conséquences de ses fautes ;
* a « payé » avec une juste punition ;
* a réparé ce qu’elle pouvait réparer ;
* a appris ce qu’elle avait à apprendre ;
* est une nouvelle personne, car elle est changée ou est déterminée à changer en elle-même ce qu’il y a à changer ;
* est prête à présenter des excuses sincères et à demander pardon ; le cas échéant, elle l’a fait.
À partir de là, on peut considérer que la personne a atteint le plus haut degré du repentir. Elle n’a plus aucune raison de se sentir coupable, plus aucune raison de *se culpabiliser*. C’est cela que j’appelle ==sortir de la culpabilité==.
### Quelques remarques
* J’ai bien indiqué qu’il s’agit de *demander le pardon*. Cette action est une sorte de cadeau que l’on fait au lésé pour l’aider à apaiser sa peine et à *entrer dans le pardon*. Le lésé peut *donner son pardon* ou pas. S’il donne son pardon, cela constitue une sorte de *contre-don* par rapport à la demande de pardon ; c’est un cadeau qui va aider le *coupable* à sortir de son sentiment de culpabilité.
* Il est important de remarquer que *même si le lésé ne donne pas son pardon*, le coupable peut se sentir *exonéré de sa faute*, à partir du moment où il a fait tout ce qu’il pouvait faire de la démarche et à partir du moment où il est dans le repentir sincère.
⭢ Pour plus de détails : [[autour du pardon]]
* Quand une règle ou une loi sont telles qu’on ne peut pas éviter de les enfreindre, il faut les remettre en question.
* De même, quand une règle ou une loi peuvent être enfreintes sans conséquences fâcheuses, on doit mettre en doute leur pertinence. Montesquieu l’a fort bien dit :
> Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi.<br>Elle doit être loi parce qu’elle est juste.
* Il est évident que toute cette démarche longue et complexe, quand elle est approfondie, n’a de sens que dans les cas les plus graves. Si l’on bouscule quelqu’un dans l’autobus parce qu’un cahot nous a fait perdre l’équilibre, on dit simplement « oh, pardon ! », un sourire nous répond et l’on passe à autre chose.
* Cette démarche peut se faire de soi à soi lorsqu’on se fait du mal à soi-même, par exemple en grignottant entre les repas, en fumant, en ne se couchant pas assez tôt, etc. Il est si vite fait de *culpabiliser*, de « se sentir coupable » et de ne rien changer du tout ! Cette culpabilité constitue alors une sorte de petit arrangement avec sa conscience : « Je fais quelque chose que je sais être mal, alors je culpabilise. Je le fais quand même, mais je culpabilise. Ainsi, je suis quitte avec moi-même. » Cela constitue une résistance au changement.
^327c13
* Une chose que des personnes immatures font souvent : elles font du mal à quelqu’un — sciemment ou pas — et, droit derrière ou lorsqu’on leur en fait la remarque, disent quelque chose comme « \[c’est bon] je m’excuse ! » En fait, elles ne s’excusent de rien du tout ! C’est une autre sorte de petit arrangement avec sa conscience : « du moment que je m’excuse, ça efface ce que j’ai fait. » Ce qu’il faut leur signifier, ce sont les points suivants :
1. De quoi est-ce que tu t’excuses exactement ?
1. Est-ce que tu te rends compte de ce que ça me fait ?
1. Est-ce que tu es déterminé à ne plus le refaire ou bien est-ce que tu te donnes à toi-même le droit de le refaire quand tu veux ?
1. Et si je te disais que non, ce n’est pas excusable ?
Inutile de dire que si vous avez affaire à quelqu’un de très immature et à plus forte raison s’il souffre d’un trouble de la personnalité antisociale, vous n’avez aucune chance d’obtenir un quelconque amendement de cette personne ! Prenez vous-même en main les changements à faire dans votre vie pour ne plus avoir affaire avec cette personne.
## Vocabulaire
⭢ [**amender** | Dictionnaire de l’Académie française | 9e édition](https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9A1438)
⭢ [**enfreindre** | Dictionnaire de l’Académie française | 9e édition](https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9E1581)
⭢ [**pardonner** | Dictionnaire de l’Académie française | 9e édition](https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9P0589) — remarquez bien les deux sens, source de bien des problèmes !
⭢ [**repentir** | Dictionnaire de l’Académie française | 9e édition](https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9R1845)
 
<p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Logo-Dr.png" class= "signature"/></a></p>
<p style="text-align: center; font-style: italic;">le 2 décembre 2022
</p>
 
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[[portail de la psychologie et de la psychothérapie]]
#psychoPhilo #spiritualité