# Accepter l’inacceptable <p style="text-align: right;font-style:oblique">! <a data-href="Food for thought" href="https://legerement-serieux.ch/Fiches/PsychoPhilo/food+for+thought" class="internal-link" target="_blank" rel="noopener">Food for thought</a> !</p> Pour la plupart d’entre nous, les mots « accepter » et « acceptation » sonnent comme de « gros mots », lorsqu’ils sont utilisés à propos de choses pénibles telles qu’une maladie grave, la mort prématurée d’un proche, un attentat terroriste, une catastrophe naturelle et ainsi de suite. Le consensus social semble être quelque chose comme :  « Ces choses sont inacceptables ! Il ne saurait être question de les accepter ! » Et pourtant, les sages et les maîtres spirituels continuent de nous dire « Si vous souffrez, c’est que vous n’êtes pas dans l’acceptation. » Ils le disent tellement fort et avec tellement d’insistance que notre problème est devenu une sorte d’impossibilité : « On ne peut pas accepter l’inacceptable ! » Après pas mal de réflexion autour de cette difficulté, j’ai fini par comprendre que notre malaise, qui va souvent jusqu’au *refus d’accepter*, provient d’un grand malentendu sur la signification de l’acceptation en philosophie et en spiritualité. Je vais m’employer à dissiper ce malentendu. Le point principal est le suivant : > « Accepter » ne signifie pas « être d’accord », >  ni « approuver », >  ni « trouver que c’est bien ». &emsp; Au sens philosophique et spirituel, *accepter* est simplement — si j’ose dire — le contraire de *refuser*. Il s’agit de réaliser profondément que > Tout ce que nous ne pouvons pas *refuser*, nous sommes bien obligés de l’*accepter*. &emsp; [[Krishnamurti, Jiddu|J. Krishnamurti]] est un des philosophes et maîtres spirituels qui a le plus parlé de l’acceptation. Son exhortation, en version originale, était “**surrender to what is**”. La traduction française la plus exacte est « se rendre à *ce qui est* ». C’est « se rendre à l’évidence » que la chose existe, que l’événement s’est passé, que la personne est ainsi, que la loi dit ceci, etc. Prenons l’exemple d’un événement passé. Qu’il s’agisse d’un événement pénible, dramatique, ou simplement désagréable, on ne peut pas refuser le fait qu’il s’est passé. L’événement a eu lieu, un point c’est tout. C’est cela qu’il s’agit d’accepter. La tonalité affective de l’événement, c’est une tout autre chose. Le contraire de l’*acceptation*, c’est le *refus de la réalité*. Cela peut prendre la forme de ce que l’on appelle le *déni* en psychologie. Le déni est une tentative de *faire comme si* la chose n’existait pas. Parfois, c’est exactement ce qu’il faut faire, quand il s’agit de refuser que la chose ait un *effet psychologique* sur nous. En revanche, bien souvent, c’est à partir du moment où l’on a *accepté* la réalité de l’existence de la chose ou de l’événement, que l’on va pouvoir, justement, agir avec *à propos*. ### Une illustration métaphorique Il pleut. Est-ce que je peux refuser la pluie ? Certes, non. Par conséquent, j’accepte la pluie, j’accepte le fait qu’il pleuve. Cela ne veut pas dire que j’approuve la pluie ou que je la trouve agréable et ainsi de suite. Si j’avais prévu un pique-nique, celui-ci tombe à l’eau — c’est le cas de dire. Par conséquent, la pluie me contrarie et peut-être bien que ça m’ennuie. Mais je ne peux que *me rendre à la réalité de la pluie*. Rien ne sert de me plaindre, de geindre, de maudire le ciel, etc. Le fait est là — il pleut — et je ne peux pas le refuser. Je l’accepte.  Ce que je peux refuser, en revanche, c’est d’être mouillé ! C’est le fait d’accepter la pluie qui va me permettre de composer avec, d’agir adéquatement et ainsi de suite. Si je sors en niant le fait qu’il pleuve, sans parapluie et sans protection, je serai mouillé. Je ne peux pas nier la pluie, sortir et rester sec. Ce que je peux également refuser, c’est que ma journée soit gâchée. Pour cela, il me suffit de faire quelque chose de plaisant, *malgré la pluie*. Il ne faut pas rester fixé sur le plan « pic-nic ». ### Les situations difficiles Indéniablement, il y a des choses plus faciles à accepter que d’autres. Parmi les situations particulièrement difficiles, je citerais :  * la mort d’un enfant — que ce soit par maladie, suicide, accident ou assassinat, c’est toujours un drame ; * la perte de ses biens dans un incendie ; * subir de la violence sexuelle ; * l’atteinte accidentelle à l’intégrité physique — par exemple, perdre l’usage de ses jambes dans un accident ; * être gravement blessé ou perdre un proche dans un attentat ; * être atteint d’une maladie dégénérative particulièrement invalidante et incurable. Et ainsi de suite. Il existe une très grande quantité de situations terribles à vivre. Qu’est-ce qu’on entend régulièrement dire, dans toutes ces situations ? « C’est impossible d’accepter de telles choses. On ne s’en remet jamais. On reste marqué à vie. » Etc. On pourrait dire qu’il y a un *consensus social* qui dit « on ne peut pas accepter ». Pourtant, psychologiquement, on a tout intérêt à aller vers l’acceptation. Alors pourquoi est-ce que l’on continue de proclamer « on ne peut pas accepter », comme s’il s’agissait d’une vérité éternelle ? Mon point, c’est que ceux qui énoncent « c’est inacceptable » confondent le fait d’accepter avec « cautionner » ou « approuver » ou « trouver ça bien », et ainsi de suite. « Accepter », c’est se rendre à l’évidence. C’est absolument nécessaire pour pouvoir *tourner la page*. Refuser d’accepter, c’est s’interdire de tourner la page. Dit autrement : pour pouvoir *tourner la page*, il faut accepter… même ce qui paraît inacceptable. Pourquoi tourner la page ? Pour ne pas laisser notre présent être gâché par quelque chose qui n’est plus là, quelque chose qui n’a pas à faire partir de notre présent. #### Mais quand on souffre au présent des conséquences d’un événement,<br>on ne peut pas faire comme s’il ne s’était pas produit ! Certes. Le point philosophique, c’est d’accepter à la fois le fait que l’événement s’est produit et les conséquences de l’événement, mais pas forcément *toutes* les conséquences, car il va s’agir de s’adapter à la nouvelle situation. Je vais prendre un exemple extrême : un homme perd ses deux bras dans un accident d’électrocution ^[Ce n’est pas arrivé qu’une seule fois. Un exemple connu en Suisse romande, c’est Louis Derungs ; il a eu son terrible accident en 2013. Depuis, il a fait des études de psychologie et il aide les autres à accepter l’inacceptable.]. À l’évidence, sa vie est bouleversée. Il ne s’agit pas, pour lui, de se raconter que rien n’a changé. Il s’agit de faire face aux défis qui se présentent à lui : comment vivre sans bras ? C’est en acceptant que ça s’est passé, qu’il n’a plus de bras, etc., qu’il va être en mesure de relever ces défis qui, avant l’accident, n’étaient absolument pas au programme. « Ne pas tomber dans la résignation » n’est pas le plus petit de ces défis ! Je ne résiste pas au plaisir de partager ici avec vous une pensée de Marc-Aurèle que j’aime particulièrement : > Ce concombre est amer ? Jette-le !  > Il y a des ronces dans le chemin ? Détourne-toi ! > C’est tout ce qu’il faut.   > Ne dis pas à ce sujet : « Pourquoi ces choses-là se trouvent-elles dans le monde ? » > <div class="citation-source">Marc-Aurèle, empereur romain et philosophe</div> On voit là à l’œuvre ce que j’appelle « accueillir sans état d’âme » ou « juste constater et agir en conséquence ». &emsp; <p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Logo-Dr.png" class= "signature"/></a></p> <p style="text-align: center; font-style: italic;">le 15 février 2024 </p> &emsp; ---------------------------------------------- [[réflexions et essais]]  ✦  [[souffrance (domaine)|souffrance]] #psychoPhilo #acceptation