> [!example]- Source > Texte publié dans le [numéro ** 321**](https://www.recto-verseau.ch/boutique-en-ligne/la-revue-recto-verseau/1017/revue-recto-verseau-n-321-detail.html) (septembre 2020) de la revue [*Recto Verseau*](https://www.recto-verseau.ch). &emsp; # Réinventons notre relation au monde Je commencerais par demander «*quel* monde ? » Non par provocation, mais parce que ce que nous appelons « le monde » est en fait d’une extrême hétérogénéité, quelle que soit notre échelle d’analyse. Si l’on regarde la planète entière, on voit qu’il y a des pays en guerre et des pays en paix, des démocraties et des dictatures, des pays où l’on mange beaucoup trop et des pays où l’on meurt de faim. Et ainsi de suite. Même si l’on regarde de plus près le « monde » avec lequel nous sommes en relation directe, disons notre pays, on voit que là aussi, il y a une extrême hétérogénéité : des personnes extrêmement riches d’un côté, des pauvres de l’autre ; nous pouvons rencontrer des personnes très religieuses, comme des personnes « laïques militantes » et des personnes qui se fichent complètement de ce sujet. Il y a des personnes extrêmement tolérantes qui ne font aucun cas de l’orientation sexuelle des autres, comme des personnes extrêmement sexistes et même des homophobes. Des perfectionnistes et des je-m’en-foutistes. Des pollueurs et des écologistes. Des immatures et des adultes. Et ainsi de suite. Pourtant, malgré cet aspect kaléidoscopique du monde, je voudrais attirer l’attention sur un aspect que je pense très important. Cela fait des centaines et des milliers d’années que le monde n’est pas parfait… et qu’il s’améliore. Mais il ne s’améliore qu’à l’occasion de crises et catastrophes de toutes sortes : guerres, famines, épidémies, catastrophes naturelles, etc. Vous devinez où je veux en venir : cette très sérieuse crise que nous vivons, celle qu’on l’on dit du *Coronavirus* ou de la *CoViD-19*, c’est une vraie opportunité pour le monde d’évoluer. Mais avant qu’on soit vraiment passé à un nouveau palier évolutif, il va y avoir, cela ne fait aucun doute, un vrai combat entre deux mondes — l’ancien et le nouveau. L’Ancien Monde, c’est : le jetable, la surconsommation, la pollution éhontée, la spéculation sur les denrées de première nécessité, les travailleurs considérés comme des numéros, utilisables jusqu’à l’usure et jetables ; la compétition effrénée ; la quantité, au mépris de la qualité ; le droit qu’on se donne de « faire de l’argent » par n’importe quel moyen, y compris en prenant à ceux qui n’ont déjà presque plus rien ; la valorisation exclusive du mesurable et des apparences, au mépris absolu des émotions et de l’intériorité ; la morale et l’éthique déclarées comme sans intérêt ; la pollution de la nature et des esprits, sans états d’âme. En résumé : l’égoïsme et le chacun pour soi, la déshumanisation, l’exploitation de l’homme et de la nature et, disons-le, la destruction de la planète. Le Nouveau Monde, ce sera : le respect érigé en valeur première, le respect des autres, le respect de la nature ; la collaboration et l’entraide ; le durable, le réparable et le récupérable ; les actions imprégnées de considérations morales et éthiques ; faire le maximum pour qu’il y ait le moins possible de pauvres ; la prise en compte des émotions et de l’intériorité ; le partage et la convivialité ; la qualité plutôt que la quantité. Au bout du compte : aller vers plus de joie et plus de bonheur ; et y aller à un rythme compatible avec la santé. Indépendamment de toute considération sur le *Coronavirus*, sa contagiosité, sa mortalité ou l’existence d’un vaccin efficace, je pense que la *crise actuelle* est faite avant tout de la lutte qu’il y a — et qu’il va continuer d’y avoir — entre ces deux mondes : le monde *d’hier* et le monde *de demain*. Par conséquent, pour revenir au sujet de cet article, la question de notre *rapport au monde*, c’est essentiellement de faire un choix fondamental entre ces deux mondes. Car ils sont absolument incompatibles. Ils vont s’affronter, comme s’affrontent les masses d’air chaud et froid dans l’atmosphère. Chacun de ces deux mondes a ses attraits et chacun a, bien évidemment, ses ardents supporters. On ne va pas pouvoir vivre dans les deux mondes à la fois, même s’ils vont, pour un certain temps, coexister. Nous devons donc nous demander sérieusement : lequel de ces deux mondes est le plus compatible avec mes valeurs ? Lequel est le plus favorable à la santé physique et à la santé psychologique ? Il ne s’agit pas seulement de ma petite personne, mais aussi de mes proches, de mes amis, de mes collègues, de mes voisins. Dans lequel de ces deux mondes ai-je vraiment envie de vivre ? Lequel est-ce que je vais proposer à mes enfants et aux générations qui arrivent ? Je pense pouvoir dire sans risquer de me tromper que les lecteurs de *Recto Verseau* choisiront plutôt le monde de demain ! Maintenant que nous voyons clairement ce que nous ne voulons plus — l’Ancien Monde — et ce que nous appelons de nos vœux — le monde de demain —, il nous reste à nous construire une attitude face à tout cela. Je pense que c’est dans chacun de nos choix de vie que nous pouvons soit être complices des absurdités et des monstruosités de l’Ancien Monde, soit inventer le monde de demain et contribuer à sa mise en place, à son avènement. Ne pouvons-nous pas, dès aujourd’hui, par nos choix de consommateur, contribuer à un monde plus équitable et plus respectueux des humains et de la nature ? Est-ce que nous allons continuer à nous épuiser à cette imbécile compétition ? Est-ce que nous allons continuer à courir en participant à la course à l’abîme de l’Ancien Monde ? Ne pouvons-nous pas dès aujourd’hui cultiver les valeurs du monde de demain et les incarner ? Pourquoi attendre ? Attendre quoi ? Est-ce que nous ne pouvons pas *tout de suite* prendre le temps de vivre, d’aimer, de contempler et de nous imprégner du Bien et du Beau ? Quand je dis « aujourd’hui », je veux surtout dire « sans attendre que la crise soit passée ». Car nul ne sait exactement combien de temps durera la lutte féroce entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Espérons que ça ne se comptera pas en dizaines d’années, car sinon, cela signifierait que nous ne verrions pas forcément la fin de cette crise. Mais il est en tout cas certain que cela se comptera en années et non pas en mois — les forces de l’Ancien Monde sont encore bien vivaces et, telle une bête blessée, cet Ancien Monde, dans son agonie, va encore faire des dégâts et occasionner bien des souffrances. En conclusion, je dirais qu’il est plus que jamais intéressant de repenser à cette idée qui n’est pas de moi : il s’agit de savoir que nous sommes *dans* le monde, sans être *du* monde. Je pense que ce n’est plus une coquetterie, mais bel et bien une *nécessité* que de se ménager des temps et des espaces à l’écart de la bagarre et à l’écart de l’*insanité* et l’*insalubrité* de l’Ancien Monde. À être trop immergé dans l’Ancien Monde, il est très difficile de ne pas être contaminé par la pollution mentale, l’agitation, la frénésie, la hargne et l’amertume. Il faut une très grande force morale pour garder toute sa tête quand, autour de nous, les autres la perdent et disent que c’est de notre faute. [^1] Par conséquent, je pense qu’il est aujourd’hui de la plus haute importance de faire ce que recommandait le Candide de Voltaire : « cultiver notre jardin ». Non seulement notre jardin potager pour avoir des patates et des tomates non transgéniques, mais surtout notre jardin intérieur, celui où l’on sème et récolte ces biens que sont l’Amitié, l’Amour, la Joie, le Vrai, le Bon et le Beau. S’il faut, pour cela, vivre dans une espèce de *monde parallèle* et affronter le mépris des imbéciles, je pense que nous pouvons l’assumer et qu’il le faut. &emsp; <p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Logo-Dr.png" class= "signature"/></a></p> <p style="text-align: center; font-style: italic;">le 24 août 2020 </p> &emsp; [^1]: C’est le début du célèbre “If” de Rudyard Kypling : “If you can keep your head when all about you / Are losing theirs and blaming it on you”. J’ai écrit [[If — Rudyard Kypling|une série de pages]] autour de ce texte. ---------------------------------------------- [[réflexions et essais]]  ✦  [[liste des articles écrits par Olivier Spinnler|liste des articles]] #psychoPhilo #réflexions #société &emsp;