> [!example]- Source > Texte publié dans le [numéro de ** 308**](https://www.recto-verseau.ch/boutique-en-ligne/la-revue-recto-verseau/1004/revue-recto-verseau-n-308-detail.html) (juin 2019) de la revue [*Recto Verseau*](https://www.recto-verseau.ch). &emsp; # L’anxiété, comment s’en sortir ? ### L'anxiété n’est pas une émotion Cette affirmation vous surprend peut-être. C’est pourtant bien le point principal, à mon sens, pour venir à bout de cette problématique de l’*anxiété*. Vous connaissez sans doute ce que l’on appelle les « émotions de base » : la joie, la tristesse, la peur et la colère. [^1] Il est vrai que, dans le langage courant, dans la vie de tous les jours, « angoisser » est pour ainsi dire synonyme d’« avoir peur ». Mais, dans la réalité intérieure d’une personne, rien n’est moins faux ! En fait, l’angoisse est un *malaise physique*, un ensemble de sensations désagréables, voire extrêmement désagréables : * oppression sur la poitrine * nœud au creux de l’estomac * impression de manquer d’air * palpitations (sensation du cœur qui « tappe » ou qui « s’emballe ») * tremblements * sudations * gorge serrée * etc. Ce malaise physique — bien réel, j’insiste — n’est pas en lui-même une émotion. Il est la *conséquence* d’une ou plusieurs émotions, il est le *reflet* d’un état émotionnel perturbé, voire *très perturbé*. Ce malaise peut être tellement intense qu’il fait peur à la personne — et parfois à son entourage — au point qu’on en arrive à le confondre avec la peur elle-même. Pour sortir d’une problématique anxieuse, il est fondamental de comprendre ce point : c’est bien une ou plusieurs émotions qui *provoquent* un malaise qui est *fortement ressenti* et *interprété* comme de l’anxiété. ### Quelles émotions peuvent-elles causer de l’anxiété ? Vous vous dites sans doute « d’accord, l’anxiété est un malaise. Mais ce malaise est causé par de la peur ». À quoi je réponds simplement, mais fermement : « pas forcément ! » En réalité, c’est parfois de la peur, parfois de la colère, parfois de la tristesse ! Et même parfois encore autre chose. C’est pourquoi l’on fait souvent gravement fausse route en cherchant à gérer l’angoisse *comme s’il* s’agissait forcément de peur ! Ce simple fait explique pourquoi des personnes ont pris des médicaments (généralement des benzodiazépines) pendant des années ou ont fait des années de psychothérapie sans jamais sortir de leur mal-être anxieux : il y a fort à parier que leur anxiété n’était pas *causée* par de la peur, mais par tout autre chose. Et tant que cet *autre chose* persiste, l’anxiété ne peut pas disparaître, même en se droguant avec toutes les drogues connues ! ### Comment la tristesse ou la colère peuvent-elles occasionner de l’anxiété ? Pour répondre à cette question, il faut revenir à ce point fondamental : l’anxiété est un mal-être, un malaise, un inconfort physique. C’est quand une personne ne *peut pas*, ou ne *veut pas*, ou *évite* de ressentir de la colère, ou de la tristesse, ou de la peur qu’elle finit par ressentir un *intense malaise* qu’elle-même et son entourage, et même ses médecins, finissent par appeler « anxiété ». À tort, comme vous êtes en train de le comprendre. ### Comment se fait-il qu’une personne ne perçoive pas sa tristesse ou sa colère ? Je dirais que c’est là *la* bonne question, la question fructueuse qui va permettre de sortir de l’anxiété. Il peut y avoir plusieurs raisons, pas du tout mutuellement exclusives : * **Un manque d’introspection**. Pour pouvoir identifier nos émotions, pour pouvoir comprendre et gérer notre état intérieur, il faut tout d’abord y avoir accès par l’introspection. Ceci n’est pas donné à la naissance. C’est une capacité que l’on acquiert progressivement lors du développement psychologique. Cela ne s’apprend pas à l’école et bien rares sont les parents suffisamment à l’aise avec la gestion des émotions pour pouvoir en parler à leurs enfants et leur enseigner cette *lecture interne* de l’état émotionnel. Il n’est pas rare que des personnes dites « adultes », des personnes qui ont plus de 20, 30 ou 40 ans , soient tout simplement incapables d’identifier leur état intérieur et de remarquer « je ressens de la tristesse, de la déception, de la frustration, de la colère, un sentiment d’injustice, etc. » Cette capacité, si elle n’est pas spontanément acquise, peut et doit être *travaillée*. Cela doit faire partie de ce que l’on appelle « travail sur soi » et cela peut se faire en autodidacte — mais c’est très difficile — ou dans des stages, ou en thérapie. J’insiste : c’est une capacité fondamentale que tout être humain adulte devrait posséder. * **Un mécanisme de défense psychologique**. L’éducation — en particulier dans certaines familles — et, souvent, la société nous renvoient une image négative du fait de pleurer ou d’être en colère. « C’est vilain » ou « c’est être faible » s’est-on entendu dire. Ou bien on se l’est dit à soi-même, par exemple si l’on a eu un parent colérique : terrorisé par ce parent régulièrement en colère, l’enfant a, inconsciemment, *décidé qu’il ne serait pas comme ça*. Il met alors en place une règle interne telle que « je ne dois pas me mettre en colère ». Ce qui l’amène, sans qu’il en ait absolument conscience, à s’*interdire* même de simplement *ressentir* de la colère. Il se raconte à lui-même « je n’ai pas de colère en moi ». Ce qui ne peut pas être vrai, par exemple quand la personne se fait exploiter au travail, subit des pressions ou finit même par se faire « jeter » de son emploi. La personne ressent alors, inévitablement, un intense malaise qu’à défaut de s’autoriser à appeler « colère », elle préfère nommer « angoisse ». Il peut y avoir des mécanismes de même nature autour de la tristesse : « je ne dois pas pleurer » ; alors, comme je ne m’autorise pas à ressentir de la tristesse, je ressens un intense malaise… que je nomme « angoisse ». * **Un manque d’affirmation de soi**. Nous sommes, là aussi, face à des mécanismes inconscients. La personne, par manque d’affirmation d’elle-même ou par peur du rejet et ainsi de suite, ne *sait pas* ou *n’arrive pas* à obtenir des autres ou de la vie la satisfaction de ses besoins psychologiques fondamentaux : sécurité, marques d’affection, reconnaissance, amitié, sentiment d’accomplissement, etc. Elle accumule alors, au fil des années, une immense frustration intérieure qui peut sortir en *amertume*… ou en angoisse ! C’est la position « angoissante » de la victime impuissante. En l’occurrence, la personne se croit victime de la vie ou des autres, alors qu’elle est victime de son manque d’affirmation d’elle-même. Il est bien évident que ce ne sont que des exemples. Je ne prétends pas avoir ainsi expliqué *toutes* les situations d’angoisse ou d’anxiété. Mais je pense avoir éclairé la plupart des mécanismes psychologiques qui les sous-tendent. ### Comment en sortir ? Le **premier point** que je recommande vivement à mes patients — et à leur entourage — c’est de supprimer du vocabulaire ces mots : « anxiété », « angoisse », « j’angoisse ». La raison en est double : d’une part, utiliser ces mots, c’est s’installer dans la fausse croyance qu’on a identifié son problème. Comme nous venons de le voir, l’angoisse et l’anxiété ne *sont pas* le problème, elles sont la *conséquence* du vrai problème ! D’autre part, ces mots eux-mêmes sont *anxiogènes* ! Dites-vous donc à vous-même, plusieurs fois par heure, « j’angoisse » et vous verrez, à la fin de la journée comment vous vous sentirez ! C’est ce que l’on appelle une *autosuggestion* ou bien encore une *prédiction autoréalisante*. Un cercle vicieux s’installe très vite : malaise ⭢ « j’angoisse » ⭢ anxiété ⭢ malaise ↑↑ ⭢ anxiété ↑↑ Pour en sortir, c’est le premier point : ne plus se suggérer à soi-même de l’angoisse. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’on va la nier. Bien au contraire : on va *accepter* et prendre en considération le fait qu’il y a en nous un intense malaise et faire tout ce qu’on peut pour le comprendre *totalement*, au sens où l’expliquait Krishnamurti. Ce qui constitue notre **deuxième point** : pour sortir de l’angoisse ou de l’anxiété, il s’agit de *comprendre totalement* le malaise afin de le faire disparaître. Cette compréhension totale implique de se poser les bonnes questions et d’y répondre avec honnêteté et intensité : * De quoi mon malaise est-il fait ? De quelles émotions ou sentiments ? * Est-ce que ce sont des pensées qui génèrent ces émotions qui occasionnent mon mal-être ? Quelles pensées ? * Dans quelles circonstances — ponctuelles ou de vie — survient ce malaise ? * Qu’est-ce que je pourrais faire pour ne plus me retrouver dans ces situations ? * Qu’est-ce que je pourrais changer dans ma vision du monde pour moins ou même *plus du tout* ressentir ces émotions ? Et ainsi de suite. Tout ceci n’est qu’un aperçu de l’important travail que l’on doit faire sur soi et qui, la plupart du temps, devrait être fait dans le cadre d’une psychothérapie. Je ne voudrais pas terminer ce bref tour d’horizon de l’anxiété sans évoquer un autre point important : nous devons absolument développer notre capacité à *accepter l’inconfort*. Nous travaillons tous les jours à augmenter notre confort de vie — pas seulement sur le plan matériel — et à éviter l’inconfort. C’est très bien et je ne le mets pas en question, c’est un peu la base de la civilisation. Pourtant, la Vie ne saurait être *toujours* confortable : ce n’est pas confortable de perdre un être cher ou de vivre une déception amoureuse, ce n’est pas confortable de vivre dans le bruit, ce n’est pas confortable de voyager en transports publics aux heures de pointe, ce n’est pas confortable de subir des pressions au travail, ce n’est pas confortable de ne pas réussir ce qui nous tient à cœur, ce n’est pas confortable de voir ce qu’on voit au téléjournal ou de lire ce qu’on lit dans les actualités. Il faut le reconnaître et ce n’est pas en déclarant « pathologique » l’inconfort que l’on va s’en sortir. Il nous faut absolument apprendre à supporter *une certaine dose* d’inconfort. Et cela aussi — pour ne pas dire cela surtout — fait partie de la thérapie de l’anxiété : il faut apprendre à tolérer le malaise ressenti, aussi inconfortable soit-il, en attendant de l’avoir *totalement compris*. J’espère avoir donné un message d’espoir très important : * l’angoisse n’est pas une fatalité, pas même de la condition humaine ; * on peut vivre une vie sans anxiété ; * mais à condition de savoir gérer nos émotions et nos pensées. Par conséquent, et vous l’entendez une fois de plus : c’est la *conscience* qui sauve ! Et le meilleur moyen de développer sa conscience, c’est la *vraie méditation*. [^2] <p style="text-align: center;">&emsp;</p> <p style="text-align: center;"><a href="https://dr-spinnler.ch"><img src="https://dr-spinnler.ch/myfiles/logos/Olivier-Spinnler.png" class= "signature"/></a></p> <p style="text-align: center; font-style: italic;">le 30 avril 2019 </p> <p style="text-align: center;">&emsp;</p> ---------------------------------------------- [[réflexions et essais]]  ✦  [[liste des articles écrits par Olivier Spinnler|liste des articles]] #psychoPhilo &emsp; [^1]: Certains y ajoutent la surprise et le dégoût. C’est un débat universitaire que de discuter s’il faut les inclure ou pas dans les émotions de base. En pratique, ce n’est pas très relevant. [^2]: J'entends par là la méditation qui vise à développer la conscience, pas ces pratiques soi-disant méditatives qui visent à nous rendre plus performants ou plus résistants au stress !